..., mais vraiment. Ici, Tolkien est dépressif, cruel, sans pitié. Pas de blagounettes enfantines au coin du feu. Pas de magicien qui vous fait des clins d'oeil pour vous dire que tout ira bien. Pas le moindre festin arrosé d'ale généreuse et de pets de Nains. Juste un goût de cendre dans la bouche et un ciel de même couleur qui annonce un destin fait de meurtres, de deuils, d'incompréhension et de dégoût.

« Les enfants de Húrin » fait partie des trois contes majeurs des Jours Anciens racontés dans l'incroyable « Silmarillion ». En effet, au milieu des innombrables résumés de mythes s'étant déroulés durant le Premier Age inventé par Tolkien, « Beren et Luthien », « La chute de Gondolin » et l'histoire qui nous occupe se révèlent être les pierres angulaires de la vision de l'auteur. Plus développés, plus complets dans leur (longue) élaboration, il est possible d'y retrouver une partie de l'immersion du « Seigneur des Anneaux » mais avec un sens du tragique et de la cruauté bien plus poussés. « Les enfants de Húrin » avait déjà bénéficié d'une version longue dans le premier volume des « Contes et légendes inachevés » (CLI). Cette édition ultime en roman vaut-elle donc encore le coup ? Les nouveaux passages sont-ils assez conséquents ?

Franchement: pas vraiment. Les lecteurs des CLI ne trouveront que quelques pages inédites qui éclairent à peine l'histoire déjà connue. Par contre, pour ceux qui n'ont lu que la version concise proposée dans le Silmarillion ou encore ceux qui ne savent pas du tout de quoi je parle, je ne dirai qu'une chose: essayez-le. Ici, c'est le Kevala qui se retrouve convoqué par Tolkien, ainsi que la Völuspà, le mythe de Beowulf et une bonne dose de violence shakespearienne. L'anti-héro, Túrin, est pour moi l'une des plus belles créations de Tolkien: complexe, aussi noble d'esprit que misérable, il représente avec brio toute l’ambiguïté d'un personnage de légende censé s'ériger en modèle mais qui reste désespérément humain: chaque moment de sa vie est une lutte contre le chaos qui le ronge, un combat contre la bête en lui et la menace de la folie. Le Premier Âge du monde se termine dans l'horreur. Tout le monde meurt, même les Elfes immortels. Et parfois, la mort vaut mieux que s'acharner dans le cauchemar réservé par Morgoth, le premier Seigneur des Ténèbres.

La version longue des « Enfants de Húrin » était nécessaire en ce sens qu'il s'agit du seul témoignage direct des premiers siècles du monde inventé par Tolkien. Ici, les personnages discutent longuement, des descriptions nous plongent avec crédibilité au crépuscule du Dor-Lomin, de Nargothrond et de tous ces royaumes que nous n'avions, au fond, que survolés dans « Le Silmarillion ». La contre-partie de tout cela, c'est que l'histoire finit par se diluer dans quelques longueurs. Les rebondissements ne sont pas franchement légion et, pire, certaines ficelles de répétition finissent par apparaitre. Autrement dit, l'immersion se fait parfois au détriment de l'intensité mythologique.

Quoiqu'il en soit, ce roman vaut la peine qu'on s'y attarde. Pour les suicides, l'inceste, la violence et tous ces thèmes que l'on prêterait plus volontiers à un Howard qu'à un Tolkien. Et aussi pour la dernière page (les deux dernières de l'édition brochée, en fait), qui représente peut-être ce que Tolkien a écrit de plus beau. Les seules lignes de toute son oeuvre qui ont réussi à me faire venir les larmes aux yeux.
Amrit
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le 5 févr. 2013

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