On réduit souvent Montaigne, à juste titre pour ce qui est l'importance littéraire de l'oeuvre, à ses trois livres des Essais. Les Essais, c'est l'ouvrage d'une vie, sans cesse remanié au fil de son existence, et cela jusqu'à sa mort, Montaigne a cherché à saisir par le texte une pensée en mouvement, en évolution. Point de prêt-à-penser ici, notre philosophe songe, vit des expériences qui modifie sa perception, il est perpétuellement en prise directe avec le réel. Pas de dogmatisme mais une sorte de philosophie à la fois personnelle et nourrie de lectures de l'Antiquité qui migre progressivement vers la sagesse de l'homme mûr.


On pourrait parler longtemps de Montaigne, je ne peux d'ailleurs que saluer l'initiative de France Culture l'été dernier qui nous offrit une série de podcasts de qualité sur cet auteur incontournable de la Renaissance tardive. Comment aborder Montaigne ? Par pure subjectivité.


En effet, l'extrait que j'ai choisi me semblait particulièrement pertinent et encore d'actualité, c'est là la magie des Essais et de tout grand texte littéraire, être autant dans le particulier d'une époque que l'universalité d'un propos toujours valable malgré l'accumulation des siècles. Dans le chapitre "De la vanité", Montaigne tire une critique de ses voyages à la base médicaux. En parcourant divers pays d'Europe, Montaigne voulait autant guérir que s'instruire.


Ici, il se révolte contre le bêtise du "touriste" pourrait-on dire si l'on ne craint pas l'anachronisme. Quoi de pire en effet qu'un touriste cherchant ailleurs ce qu'il avait chez lui ? C'est ne pas comprendre la richesse du voyage : l'Autre. L'altérité et non la ressemblance. En voyage, c'est ce que je recherche, l'autre dans ce qu'il a de différent de moi : sa langue, sa culture, ses moeurs, etc. D'une part pour découvrir mais aussi pour se retrouver, le contraste est un bon moyen pour affirmer sa propre identité nationale, savoir qui l'on est et d'où l'on vient.


Certains penseurs actuels vont vite en pensant que l'identité nationale est le terreau des totalitarismes, c'est oublié que toute personne vit dans un lieu et est modelé par la culture d'un pays, son mode de vie...le citoyen lambda est nourri consciemment ou non par l'identité nationale. La différence des identités c'est la richesse, il faudrait plus craindre l'homogénéisation des identités (au profit de qui ? de quoi ?) ou le communautarisme qui participe à la division interne d'un pays (non pas la division géographique naturelle des régions, les Bretons différents des Lorrains, mais l'ajout de fractures ethniques à des villes voire des quartiers).


Bref, même si Montaigne n'évoque, logiquement, pas ces aspects, propres à notre époque et non à la sienne, il faudrait comme lui se plaindre de ces comportements grossiers de touristes français par exemple se plaignant de ne pas retrouver ailleurs ce qu'ils ont chez eux. Le voyage, c'est aussi l'humilité. Apprendre à se dépouiller un temps de son bagage culturel pour se fondre dans l'identité de l'Autre : par respect et pour expérimenter une métamorphose identitaire.


"J'ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur de s'effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où qu'ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étrangères. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre ensemble, à condamner tant de moeurs barbares qu'ils voient. Pourquoi non barbares, puisqu'elles ne sont françaises ? Encore sont-ce les plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire. La plupart ne prennent l'aller que pour le venir. Ils voyagent couverts et resserrés d'une prudent taciturne et incommunicable, se défendant de la contagion d'un air inconnu".

Al_Foux
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le 5 janv. 2016

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