Les Furtifs
7.2
Les Furtifs

livre de Alain Damasio (2019)

Ma première critique sur senscritique pour ma première déception par Damasio et ma première note de roman pour ce qui n'en est pas un.

Car cette oeuvre n'est pas un roman mais un manifeste, c'est ce qui va la caractériser du début à la fin, à outrance, jusqu'à l'overdose, qui est arrivée pour moi dès les premières pages.

Ce livre, je l'ai attendu des années. Dès que j'en ai entendu parler, je n'ai pas arrêté de chercher "Damasio furtifs" dans les actualités google, au moins une fois par mois, pendant plusieurs années, à aller chercher sur wikipédia si quelqu'un n'avait pas ajouté un lien, une ligne, qui aurait pu me donner quelque chose de nouveau. J'ai même hésité à acheter le numéro des Inrocks dans lequel, il y a quelques années, était paru le premier chapitre des Furtifs. Mais j'avais senti la douille capitaliste déjà.

Déjà dans son recueil Aucun souvenir assez solide on sentait un virage assez audacieux, autant dans le propos que dans le style. Il explorait, tentait, c'était un joli panel d'idées neuves qui, même si elles ne fonctionnaient pas toutes, avaient le mérite d'être originales, inventives, ludiques pour certaines.
Ce qui n'est pas foncièrement le cas ici. Ici c'est pataud, lent, laborieux.

L'oeuvre est un cri, fort et passionné, contre nos sociétés capitalistes, contre l'invasion de nos espaces partagés, qui sont vastes et divers, et de nos espaces intimes, qui le sont encore plus. Mais le cri n'est pas viscéral. Il est presque aussi intéressé que le sont ces conglomérats impersonnels que l'auteur veut dénoncer. On sent dès le début que ce dernier est colère. Et oh mon dieu qu'il est colère. Avec 15 ans de retard, Alain Damasio nous décrit dans l'urgence un monde ultra-capitaliste, ultra-connecté, ultra-ordinaire. Voire ultra-chiant. Là où la Zone avait pour elle toute l'inventivité des tours panoptiques, des implants, du classement des individus, c'est-à-dire toute l'inventivité d'une société de contrôle par et pour les individus, ici on a l'originalité des villes avec des noms de sociétés téléphoniques, des personnes qui haranguent dans la rue pour des compagnies privées, des quartiers "sans pub", bref, une dystopie si peu originale qu'elle la banalise presque. Absolument rien de nouveau sous le soleil.

Le livre est en réalité un prétexte pour défendre des idées, certes nobles et que je partage sincèrement, au détriment de l'intrigue et des personnages. On passe par des environnement si capitalistes (traduction : ils sont méchants et intéressés), des sociétés de zadistes (traduction : ils sont tous si beaux et si accueillants, wow) et des groupes de guérillas urbaines si inventives qu'elles prouvent qu'on peut même être disruptif dans nos révolutions.

La trame est impersonnelle, sans profondeur, sans originalité. Les personnages sont des caricatures, des stéréotypes trop vus plutôt que des archétypes dans lesquels on pourrait se reconnaitre. Les relations sont niaises, faciles, lisses (que dire de cette relation père-fille qui aurait pu être magnifique et qui se retrouve être plus mièvre qu'une pub pour la Maif ?). L'intrigue est un prétexte. Un vulgaire prétexte, avec des animaux qui n'ont aucun sens, qui s'arment de poésie pour se défendre contre tous ces gens qui auraient envie de dire : "Mais enfin, Alain, c'est juste complètement con comme idée."

La langue, tant ciselée par avant, ce terrain de jeu incroyable qui avait été celui de l'auteur par le passé, est devenue une insupportable parodie d'elle-même. On assiste même sur une page ou deux à un déroulé de slogans tous plus nazes les uns que les autres, comme si Damasio voulait nous montrer qu'il savait toujours manier la langue à la manière d'un Caracole. Mais qui n'aboutit en réalité qu'à quelques lignes sans intérêt, où l'on se demande vraiment ce qu'on est en train de lire.

Tout sert un propos, tout est utile. Il n'y a plus cette humanité inutile de l'art que l'auteur nous avait tant offerte dans ses oeuvres précédentes. Le livre, si pur qu'il peut être dans son intention, ne sert qu'un propos, est un moyen plus qu'une fin, un billet plutôt qu'un voyage.

Je dois avouer tout de même que ce livre est le seul, sur mes neuf dernières années de lecture, que je n'ai pas fini. Donc peut-être que le dernier tiers a des qualités que je ne peux juger.

Mais pour moi, et ce n'est que mon avis, ce livre est objectivement écrit maladroitement et défend une opinion peu originale d'une façon qui l'est tout autant.

Je vous encourage à le lire pour vous en faire votre avis.

RichardNorwood
4
Écrit par

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le 26 févr. 2021

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Richard Norwood

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