La poésie d'Eluard, j'ai appris à l'aimer en regardant Alphaville de J.-L. Godard, et depuis Eluard est un de mes poètes préférés. Il faut aller au-delà des apparences, des habitudes du commentaire littéraire, de la composition à la Malherbe, ou même des jeux de dissonnance à la Verlaine. Car nous n'avons pas ici affaire à un jeu sur le langage, mais à un travail. Je vais paraître sûrement très pédant, mais au risque de passer pour un cuistre, je vais dire ce que je ressens vraiment en lisant ce type de poésie.


C'est une poésie qui est destinée à être lue à voix haute, d'un ton calme et lent.


C'est une poésie qui ne cherche pas les double-sens, la couleur, le sublime.


C'est une poésie qui lave les yeux. Elle cherche, en mettant en avant des éléments évidents, proches de nous (une femme, une main, un paysage, etc...), à retrouver un regard neuf. Attention, pas le regard de l'enfance, bien au contraire, c'est une poésie très adulte. Un regard débarrassé des symboles de la société. Et c'est probablement pour cela que la poésie d'Eluard, souvent, ne plaît pas ou donne la fausse impression d'être à la portée du premier pasticheur venu : elle ne repose pas sur l'intertextualité, sur le jeu des références, sur la polysémie. C'est une poésie très premier degré, d'une portée universelle, ce qui ne signifie pas pour autant que ce ne soit pas une poésie élaborée. Elle met au premier rang l'individu, le regard qu'il peut porter sur le monde, mais aussi sa volonté d'agir dessus pour en faire partie. C'est une poésie dépourvue de violence, d'effets faciles. Une poésie qui oscille entre évidence et hermétisme, une poésie de jeune homme, une poésie qui nous renvoie à nous-même, à notre expérience, à notre humanité. Elle n'est pas généreuse à première vue, mais elle cherche à soigner, à toucher celui qui la lit.


Ce recueil met en regard un texte d'Eluard, qui se résume parfois à une seule phrase, avec des croquis de Man Ray, où l'on retrouve le goût surréaliste pour les associations étranges, qui renvoient au rêve, à l'inconscient. Vu de l'extérieur, d'aucuns y verront un attrape-nigaud, un carambolage de mots, de choses qui n'ont pas grand-chose en commun. Il est facile d'enfermer une oeuvre dans un cliché littéraire.


Cette poésie n'est pas littéraire, elle rend compte d'impressions de manière littérales, elle ne recherche pas tant la sensation que la signification qu'il faut lui donner. Pour en comprendre la profondeur, il faut renoncer à une forme d'immédiateté. C'est paradoxal, comme le fonctionnement de notre esprit.

zardoz6704
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le 7 nov. 2015

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