Nous avons en guise d'introduction un compte rendu sur Michel Dzejinski , un scientifique qui changea la phase du monde en ayant enfin résolu une grande question d'ordre métaphysique- Le lecteur y voit la promesse d'une œuvre grandiose. Une sorte de littérature de Science Fiction et de philosophie, visionnaire.
Dès les chapitres suivants, on se sentira berné.
Tout le reste décrit la vie banale de deux demi-frères que tout éloigne et dont seule une génitrice méprisée les rassemble. Elle est décrite comme une momie lubrique post 68 dont l'existence même fait le lit de la fornication, tout cela au détriment de sa progéniture.
Bruno et Michel sont de natures totalement opposées (pourtant ils constituent les deux facettes de l'auteur ; l'identification est évidente, cette méthode littéraire est une transfiguration de la guerre des idées à laquelle se livrent plusieurs écrivains : Dostoievski, Bernanos, Céline etc... ) – L'un (Bruno) professeur de littérature est un obsédé sexuel, l'autre ( Dzejinski) est un scientifique, pur esprit qui se désintéresse des plaisirs physiques, incapable d'aimer – Leurs relations avec les femmes sont décrites de manière froides et répétitives. L'un se met en couple avec une amie d'enfance sans qu'il n'y ait (ou presque) de contact physique tandis que l'autre se livre à des scènes d'orgies ; du sexe décrit de manières clinique de telle sorte que le lecteur verrait la sexualité comme du matérialisme aliénant – un opium du néo-libéralisme qu'a engendré la révolution sexuelle. Cette quête du bonheur par le coït ne mène qu'à des tragédies, la maîtresse de Bruno, une libertine rencontrée dans un programme New Age, se suicide car elle ne peut plus faire l'amour (à cause d'un accident survenue au cours d'un plan à trois) et l'autre parce qu'elle tombe malade … La quête de bonheur stoïcien de Michel (qui n'est pas en phase avec la société) et celle du bonheur matérialiste de Bruno (conforme à la société aliénante) conduisent à la même fatalité : la mort, la dépression, le désespoir.
Le lecteur déprime, il se demande « à quoi bon continuer ? »
Puis vient l'épilogue, où Michel, ce généticien de génie, cet alchimiste du transhumanisme met au point une formule avant de disparaître dans des circonstances mystérieuses. Son disciple qui est un alter-ego de Saint Pierre, reprend ses travaux – Toute cette partie traite de manière saisissante la fabrication d'une nouvelle espèce humanoïde, immortelle et stérile tout en éprouvant du désir sexuel, du bonheur. Il s'opère une transsubstantiation, l'humanité sacrifie son existence au profit d'une nouvelle, l'ancienne espèce transmet son essence à la nouvelle. Le Grand Oeuvre d'un alchimiste.
L'épilogue rattrape tout et fait toute la saveur du livre.
à noter que :
Les personnages sont très peu décrits, ils ne sont pas attachants – En même temps cela s'accorde aux descriptions froides de la société.
Bruno éprouve de la frustration en apprenant qu'une de ses jolies lycéennes se met en couple avec un noir. Il se défoule en écrivant un pamphlet raciste. Le passage en soi est drôle tellement les formules sont surréalistes avec l'emploi de termes vétérinaires etc. On voit que c'est très inspiré des écrits épistolaires de Lovecraft dont l’œuvre est une sublimation de sa xénophobie obsessionnelle ( L'homme de Providence compare les étrangers à des amibes primitives, des fermentations gélatineuses prêtes à déborder des cuves en béton etc..)
Ce passage, certes fidèle au registre Célinien et Lovecraftien peut-être considéré comme du remplissage car il ne rend pas service à la dramaturgie, on sent que c'est un effet gratuit. Et pourtant, c'est le seul éclat stylistique.
Le style peut déplaire. Le roman est écrit intentionnellement dans un style fade, plat, et scientifique. C'est de la sociologie. L'amour n'existe pas selon l’œuvre alors pourquoi mettre de la beauté ? Le style est conforme aux intentions. C'est une cohérence.
Il y a peu de descriptions et beaucoup de lieux communs. On pourrait qualifier son écriture de synopsis ou de compte rendu puisque tout ce qui est raconté touche à l'essentiel.
Les personnages de Hippie et le New Age sont déjà caricaturaux dans la réalité alors à quoi bon les caricaturer davantage ? C'est un cliché.
Manque de dramaturgie. Un ami m'a dit que Houellebecq devrait écrire des essais au lieu d'écrire des romans. Je comprends son point de vue car la structure des trois actes n'existe pas et la moitié de l'ouvrage comporte des réflexions sur les dérives de la structure néo-libérale. Toute grande œuvre cache une philosophie. Les grands romanciers sont des philosophes ratés et les philosophes sont des romanciers ratés. (On peut être des deux mais cela frise le divin comme Dostoïevski)
En conclusion, Une Grande Œuvre qui fait le compte rendu d'un malaise en civilisation. L'homme malade de l'Europe dans toute sa splendeur. Je recommande à ceux qui veulent comprendre ou juger Houellebecq.