"J’écris seulement pour écrire…"

Je ne peux que m’étonner de constater qu’aucun mot n’est ici présent pour parler en bien ou en mal de la première tentative littéraire de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski. Je ne suis de toute évidence pas le mieux placé pour émettre un quelconque jugement, que ce soit pour son style (je ne parle pas russe), ou encore pour son œuvre (je n’ai lu que deux de ses livres). Je me contenterai donc de partager mon humble ressenti sur ce roman dont j’ai entrepris la lecture il y a quelques semaines. Puis, pour conclure, un remerciement.


Pour ceux qui ne le sauraient pas, il s’agit ici d’un roman épistolaire. Les lettres ne sont échangées que par deux personnages, un vieux fonctionnaire et une jeune femme. Tous deux sont parents éloignés, vivent l’un en face de l’autre dans des immeubles crasseux et miséreux de Pétersbourg. Ils sont sans le sou. Vont naître entraide, confessions et bien sûr, amour.
Vous pouvez lire les lignes qui suivent sans appréhension, je ne vais rien dévoiler d’important du contenu des "Pauvres gens". J’espère donner à quelques personnes qui n’ont pas encore découvert ce roman, l’envie de le faire.


"Comprenez-vous seulement vous-même ce que vous avez créé là ! Vous n’avez pu, si jeune, écrire ce livre que d’instinct, en artiste que vous êtes…" proclama le puissant critique Vissarion Biélinski à Dostoïevski, peu après avoir achevé sa lecture. Fiodor Mikhaïlovitch, je vais lire l’ensemble de votre œuvre, c’est décidé. Je vous adore, de toute ma mélancolie. Pourtant, j’ai mis deux dizaines de pages avant de mettre un pied dans la puissance de ce roman, lorsque la jeune Varvara Alexéïevna Dobrossiélova, en à peine deux mois de correspondance, envoie à son ami, Macaire Alexéïevitch Diévouchkine, son « cahier », débuté des années plus tôt. Avant cette lettre, je lisais sans réellement comprendre les liens qui pouvaient unir ces deux personnes. Je lisais une lettre, puis j’arrêtais ma lecture. Pourquoi s’adressent-ils l’un à l’autre de cette manière ? J’ai littéralement mis un mois à lire vingt pages. Puis est arrivée cette lettre, la plus longue du roman.


(court extrait du cahier)



Pokrovski était un jeune homme pauvre, très pauvre; sa santé ne lui
permettait pas de faire des études suivies et c'était seulement par
habitude que nous l'appelions l'étudiant. Il menait une existence si
modeste, si paisible, si silencieuse que nous ne l'entendions même pas de notre chambre. Son aspect était étrange: il marchait, saluait si gauchement, parlait de façon si bizarre que les premiers temps je ne pouvais le regarder sans rire.



Dès lors, la petite flamme du réel intérêt naquit! Cette grande et belle confession m’a permis d’enfin me mettre à la place d’un personnage, de le comprendre. A partir de ce passage, j’entrais dans la correspondance. Tout est dépeint avec une grande précision, que ce soit les deux personnages principaux, bien entendu, mais leur entourage également. Tous intriguent, puis fascinent. Plus la vie misérable de ces gens est racontée, décryptée à travers leurs émotions, avec pudeur, plus je m’enfonce dans cette histoire.


(Extrait d'une lettre de Macaire Diévouchkine)



Toute la nuit, ils s'entretenaient d'elle, chacun l'appelait sa
Glacha, chacun n'était amoureux que d'elle seule et la portait comme un canari dans son coeur. La contagion m'a gagné! J'étais sans défense; j'étais encore tout jeune. J'ignore comment je me suis trouvé un soir au théâtre avec eux, à la quatrième galerie. Pour ce qui est de voir, je ne voyais que le bord du rideau, mais j'entendais tout...



Puis les retournements de situations apparaissent, en toute logique. Et là, plus possible de s’arrêter. Les sentiments des personnages sont à leur paroxysme. Chaque lettre m’empoigne pour irrémédiablement mener aux onze dernières. Ces lettres forment un final qui m’a bouleversé et qui expliquent bien des choses sur l’un des deux personnages notamment, ce qui donne une réponse à une question qui naît dès le début du roman. Ces fameuses vingt premières pages que je ne comprenais pas vraiment. Le sentiment qui prédomine en sortant des "Pauvres gens" est le suivant : je veux me replonger dans cette correspondance, en ayant connaissance des intentions des deux personnages qui sont visibles dès les premières lettres. Ce livre est un grand roman sur la solitude, la misère et la honte des pauvres malheureux…



Ma petite amie! J'aimerais vous en écrire bien plus long; j'aimerais
vous écrire à chaque heure, à chaque minute, tout le temps.



Pour terminer, un petit remerciement "façon épistolaire".


Mademoiselle, Monsieur,


Je ne connais de vous que la voix et la silhouette. Vous m’avez donné, il y a un peu moins d’un an, la motivation qui me faisait défaut pour enfin me lancer et découvrir Dostoïevski. Vous n’avez pas dit grand-chose, rien de transcendant. Mais la passion qui vous animait, je m’en souviens très bien. Vous m’avez procuré un petit frisson, l’envie de découvrir et de ressentir votre entrain. Je ne me rappelle à vrai dire pas des mots que vous échangiez, simplement ceux-ci : « Le bourg de (…) et sa population. » Je me suis donc immédiatement mis en quête de ce roman que j’ai trouvé presque instantanément, d’occasion, dans un état parfait. Quand je me suis avancé pour payer, Monsieur, vous étiez déjà parti. J’ai aimé votre sourire, Mademoiselle, lorsque je vous ai confié ce qui serait ma prochaine lecture. Lorsque vous m’avez retourné le roman, vous m’avez donné un marque page sur lequel figure le nom de votre librairie.


« Bonheur d’occasion », 1317, avenue Mont-Royal Est, Montréal, Québec, Canada.


Merci mille fois à vous deux, c’était l’fun d’avoir croisé votre route ce jour-là.

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le 27 mars 2017

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