Le désert… L'Arabie… En 743 pages. Ce livre est écrit à posteriori, mais il ressemble à un journal. Au final, l'auteur parle surtout de ses impressions présentes au moment des faits qu'il relate sans les mettre en perspective par rapport au moment de la narration. Tout commence par l'arrivée de Lawrence en Arabie et se termine par la prise de Damas, rien n'est dit des événements qui ont suivi la prise de Damas et les conséquences de la fin de la première guerre Mondiale pour la révolte arabe.

Dans ce livre, on prend conscience du désert. Le désert immense, écrasant. Nous suivons Lawrence pendant presque trois ans. Lawrence n'a rien d'un guerrier, il est plus habitué aux bibliothèques d'Oxford qu'aux camps militaires. Néanmoins, dès 1910, il effectua de très nombreux voyages au Moyen-Orient, en tant qu'archéologue. Sa connaissance de la langue, de la culture et des tribus arabes lui seront de précieux atouts lors du conflit.

Engagé dans l'armée à la fin de l'année 1914, il est nommé au Caire où il travaille pour les services de renseignement militaire britanniques. En octobre 1916, il est envoyé dans le désert afin de rendre compte de l’activité des mouvements nationalistes arabes. Il pressent qu'une révolte en Arabie pourrait aider les alliés à remporter la guerre en affaiblissant les turcs. Ses supérieurs ne croient pas tellement à ce genre d'entreprise, mais le laissent faire. Il rencontre le chérif de La Mecque, le chérif Hussein ibn Ali et ses fils. D'abord déçu, il trouvera dans Fayçal ibn Hussein, l'homme à même de porter la révolte arabe, à la fois fin stratège et habile homme politique. Lawrence, le petit anglais restera dans ce désert deux années, à vivre comme un arabe, chevauchant comme eux, s'habillant comme eux malgré le regard d'incompréhension des autres officiers britanniques.


Lawrence découvrira ce qu'est la guerre et le terrain, il sera confronté à des situations terribles, se voyant être, selon la loi des tribus, le seul à pouvoir exécuter un meurtrier sans engendrer une série interminable de vengeance comme il nous le livre dans cet extrait :
Atteint de dysenterie, il est néanmoins contraint de traverser une portion de désert avec six compagnons arabes de tribus différentes pour rejoindre Wadi Aïs. Lawrence parle des rancoeurs qui poussent souvent les tribus à se combattre entre elles et des difficultés qu'à eut Fayçal, ainsi que de son mérite, à les unir sous la bannière de la révolte face aux turcs.

Alors qu'il est à moitié inconscient, lors d'une étape, Lawrence entend un coup de feu. Un homme de la tribu des Ageyl a été assassiné, tué d'une balle dans la tête à bout portant. Lawrence soupçonne d'abord Suleiman car sa tribu et celle des Ageyl ne se sont jamais beaucoup appréciées et ont souvent été en conflit pour des troupeaux ou des territoires. Mais le seul qui manque à l'appel appartient à une autre tribu. C'est Hamed, le Maure. Les autres Ageyl du groupe sont en effervescence. Tous cherchent l'assassin. Lawrence, épuisé, retourne s'allonger au campement.
Alors que tous cherchent ailleurs, le suspect revient prendre ses affaires pour tenter de fuir. Lawrence le surprend et le mets en joue, attendant le retour des autres. Hamed avoue que lui et Salem ont eu des mots, qu'il a vu rouge et qu'il l'a abattu.

"Parents du mort, les Ageyl réclamaient du sang pour du sang. Les autres les soutenaient et j'essayai en vain de convaincre le doux Ali. Ma tête brulait de fièvre et je ne pouvais pas penser, mais, même en pleine santé, à grand renfort d'éloquence, je n'aurais guère pu obtenir la vie sauve pour Hamed, car Salem avait été un bon camarade, et son meurtre subit était un crime gratuit. (...) Il y avait d'autres Marocains dans notre armée, et laisser les Ageyl en tuer un par vengeance signifiait des représailles qui eussent mis notre unité en danger. Il fallait une exécution dans les formes et, à la fin, dans le désespoir, je dis à Hamed qu'il devait mourir en expiation, et je pris sur moi le fardeau de sa mise à mort. Peut-être ne me considérerait-on pas comme justiciable d'une vendetta. En tout cas, aucune vengeance ne pourrait être exercée contre mes compagnons, car j'étais un étranger, et sans famille.

Je le fis entrer dans un ravin étroit du contrefort, un endroit crépusculaire et humide couvert de taillis. Son lit sableux avait été creusé par l'eau ruisselant des falaises lors de la dernière pluie. A la fin, il se réduisait à une fissure large de quelques pouces. Les parois étaient verticales. Je me tins à l'entrée et lui accordai quelques moments de délai qu'il passa à pleurer allongé sur le sol. Puis je le fis se lever et lui tirai dans la poitrine. Il tomba sur la mauvaise herbe en hurlant, le sang jaillissant par à-coups sur ses vêtements, et il tressauta jusqu'à rouler presque à mes pieds. Je tirai de nouveau, mais tremblais tant que je lui brisai seulement le poignet. Il continua à crier, moins fort, gisant maintenant sur le dos, les pieds vers moi, je me penchai et lui tirai dessus pour la dernière fois, dans le gras du cou, sous la mâchoire. Son corps trembla un peu, et j'appelai les Ageyl, qui l'enterrèrent dans le ravin, là où il se trouvait. Ensuite, la nuit d'insomnie se traîna sur moi jusqu'au moment, des heures avant l'aube, où je réveillai les hommes et leur fis charger les bêtes, dans mon impatience d'être libéré du Wadi Kitan. Ils durent me hisser en selle."

La dureté du quotidien. On est saisi par le style rapide, efficace de l'auteur. Les 743 pages sont découpés en de très nombreux chapitres qui ne font guère plus de douze pages chacun, ce qui rend la lecture de ce pavé plutôt aisée. Ses descriptions du désert nous le font vivre comme si nous y étions.

Lawrence s'est toujours senti coupable et n'était jamais satisfait complètement des succès qu'il rencontrait avec la révolte arabe. Il s'en voulait de jouer un double jeu qui le rendait malade. Il savait que ce que les promesses des anglais faites aux arabes et à Fayçal ne vaudraient pas grand chose après la guerre. Lawrence ne rêvait que d'une seule chose, un état arabe où les arabes puissent se gouverner eux-mêmes. Il espérait que si la révolte était assez forte, elle pourrait imposer sa volonté aux Britanniques et gagner sa pérennité par la force. Bien qu'il n'ait pas eut beaucoup d'illusions sur les chances d'y parvenir, il comptait sur leur union et leur rôle majeur dans la victoire pour qu'ils puissent ensuite dicter leurs conditions aux Britanniques.


Lawrence se sentait hypocrite envers les arabes qu'il aidait à gagner leur guerre et s'en voulait car il ne pouvait pas leur révéler qu'il était l'envoyé d'un pays qui ne les soutenait que tant qu'ils étaient utiles. Sans doute est-ce en partie ce qui a expliqué la fin de sa vie. Dégoûté par la mascarade de l'après-guerre, il s'est réengagé dans l'armée sous un faux nom et s'est tué dans les année vingt lors d'un accident de moto.

Le leader de la révolte fut sans conteste Fayçal, mais Lawrence eut un vrai rayonnement et dans toute l'Arabie on parlait de lui et on le reconnaissait comme un chef.
MisterPH
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le 14 sept. 2012

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