"Abandonner l'animosité, c'est devenir libre"

Un livre qui peut tomber des mains, qui peut agacer, qui peut surprendre ou décevoir. Tout cela je l'admets. Je conviens aussi volontiers que la traduction française laisse à désirer et peine à rendre honneur à l'ingéniosité de la langue rushdienne. Mais je clame aussi que cette œuvre résume à elle seule l'Humanité et la Culture. Un immense chaudron littéraire bouillonnant, parfois tâtonnant, dans lequel un cuisinier audacieux a jeté le Coran, la culture moghole et hindi, la tradition gréco-romaine, la modernité tonitruante de la galaxie anglo-saxonne - de Londres aux confins du Commonwealth - la philosophie des Lumières, des histoires d'amour, du cul, un cancer, un pèlerinage, la pampa argentine, un restaurant indien, et l'archange Gibreel. Un livre impossible à résumer évidemment. Rushdie n'est jamais pédant ni érudit. Il écrit modestement un livre humain sur l'Humain, car c'est là son sujet essentiel : l'être humain dans toutes ses faiblesses, ses contradictions et ses doutes, ses lâchetés, mais aussi dans tout ce qu'il a de divin et de miraculeux. Ses personnages cartésiens atteignent la transcendance et l'auteur exerce sur eux aussi bien les miracles de l'aviation moderne ou l'enfer de la surmédiatisation, que la profondeur des symboles religieux Révélés. L'auteur joue au Démiurge, il se prend pour Dieu, et Dieu ne s'y prendrait pas autrement pour écrire un livre. Peu lui importe le vrai et le faux, le prosaïque et le miraculeux, il se contente d'observer les personnages d'une farce qui les dépasse. Presque à la moitié de ces 700 pages, le dilemme de l'écrivain et de ses personnages ainsi résumé : "Le vrai problème du langage : comment le plier, le façonner, comment faire pour qu'il soit notre liberté, comment reprendre possession de ses puits empoisonnés...". La vie de Salman Rushdie a été empoisonnée par ses obscurantistes détracteurs, une raison de plus pour rendre hommage à son œuvre.
Gambetta
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le 18 mai 2011

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