Il fait presque nuit, Londres est sous la brume et le parquet d’un bar sombre est piétiné par les pas pressés d’hommes cultivés, avides d’écouter le génie poétique britannique. Parmi ces lettrés, un groupe est plus pressé que les autres. Singuliers bonshommes, étroits dans leur costume, que font-ils là ? Et dans les sous-sols de la même ville, de puissants sorciers, emplis de haine envers une humanité perdue à leurs yeux, guettent l’arrivée du jour de leur malédiction...

La SF, c’est aussi ça. Et Tim Powers nous plonge avec grandeur dans le Londres début 19ème pour nous raconter son ambiance, ses rues, ses poètes... De Byron à Coleridge, on en voit de toutes les couleurs. Impossible de ne pas laisser passer l’un ou l’autre clin d’oeil à l’attention des hommes de lettres, un brin frustrant. Mais les découvertes rattrapent vite la frustration.

Avec Les Voies d’Anubis, Powers nous emporte dans un incessant tourbillon de situations plus loufoques les unes que les autres, mettant à son service une foule d’identités, réelles ou irréelles. Et c’est à se demander qui a vraiment existé. Car entre fiction et réalité, l’auteur nous mène si bien en bateau qu’on a du mal à percevoir le vrai du faux. Qui a vraiment existé ? Joe face de chien a finalement fait partie du folklore de la cité du grand Ben ? Illusion du passé ou légende urbaine ?

Ces personnages stupéfiants, taillés à coups d’humour bien personnel, nous adoucissent tantôt, nous font nous révolter ensuite pour enfin nous faire mourir de rire dans une farandole de voyages parallèles et grandioses.

Mais le burlesque du récit ne nous empêche pas de penser à l’incroyable travail de recherche qu’a dû mener Powers qui, quoique très sûrement cultivé comme pas deux, nous prouve son incroyable connaissance de la littérature anglaise du 19ème.

Le récit en lui-même comporte une sacré dose de suspens à en faire frémir plus d’un. Construite sur base d’une série de retournements de situation improbables, l’intrigue surprend plus qu’elle n’endort le lecteur là où d’autres auteurs s'emmêleraient les pinceaux. Et l’humour omniprésent de cette fable baroque n’empêchera pas le lecteur de considérer parfois avec gravité les propos d’un Doyle inquiet à l’heure de la tragédie londonienne.

Mais l’étroitesse de certains moments, trop courts à mes yeux, et le caractère alambiqué de quelques passages donneront peut-être au lecteur une impression de course (trop?) folle qui le fatiguera à des moments où il s’attendrait à une pause ; ne fût-ce que pour prendre la peine de connaître mieux ces personnages si bien construits. Un brin d’introspection est peut-être ce qui manque à ces super héros d’un temps passé. Car l’immense et étrange réalisme de ce conte situé, entre autres, avant l’époque victorienne donne à certains moments le tourni dû a ce trop subtile mélange de vrai et de fantastique.

Il nous reste donc a souligner les points forts du livre. Sans aucun doute, l’humour subtil et surprenant à la fois enlèvent à l’ouvrage toute possibilité de lui attribuer un âge quelconque. Ecrit en 1983, le livre n’a pas vieilli pour un sou. Ensuite, ces personnages, plus beaux les uns que les autres, chacun dans leur style, sont véritablement la force de l’histoire. Enfin, cette magie du mélange entre vrai et faux, légendes et réalités, inventions et vérités est peut-être ce qui fait de ce livre un titre absolument magnifique !

Signalons qu’on est à la frontière du Steampunk. Pour être franc, je l’ai classé parmi cette catégorie faute de mieux. On ne peut s’empêcher de penser que cet effrayant passé recèle nombre d’obscures secrets qui n’ont pas appartenu au Londres qu’on connaît. On pourrait donc aussi l’imaginer comme une Uchronie. Mais ici encore, les classifications présentent leurs limites.

On regrettera peut-être les trop rares passages en Egypte qui, finalement, auraient pu davantage justifier la référence dans le titre au dieu à la tête de chien... Un détail qui surprends toutefois lorsqu’on ferme la dernière du livre et relance à nouveau l’éternelle question : ai-je manqué quelque chose ? Ou peut-être cette ‘Egypte importée’ justifie-t-elle cet étrange titre ? Qui lira verra !

Une dernière chose, ce livre ne se trouve plus dans vos librairies mais dans vos bouquineries : il n’est plus édité. Sautez donc sur l’occasion si vous le trouvez... d’occasion !
Biohazardboy
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le 6 oct. 2013

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Biohazardboy

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