Vous connaissez Rob Liefeld ? C'est un auteur de comics américain qui a connu son heure de gloire dans les années 90, d'abord chez Marvel (il a travaillé sur les X-Men et inventé les personnages de Cable et Deadpool) avant de monter sa propre boîte, Image Comics. C'était vraiment le roi des comics à l'époque, il a inspiré plein de jeunes artistes et il a participé à définir ce qu'on appelle « l'âge moderne » des comics.


Aujourd'hui, la roue a tourné et le nom de Liefeld est devenu synonyme des pires excès de cette époque, aussi bien en termes d'écriture (personnages superficiels, histoires peu lisibles) que de dessin (aucun sens des proportions, c'est muscles à gogo pour les hommes et femmes avec des seins plus gros que leurs abdomens). Si vous faites une rapide recherche sur votre moteur favori, vous avez toutes les chances de tomber sur des articles du genre « les 30 pires dessins de Rob Liefeld » et l'introduction vous dira à quel point c'est difficile de n'en retenir que 30.


Bon, là, vous vous demandez pourquoi je vous parle de ça dans une critique des Ailes d'émeraude d'Alexiane de Lys. J'y viens. Dans l'article de Wikipedia en anglais sur Liefeld, il y a une citation d'un autre auteur de comics, Barry Windsor-Smith, qui m'a frappé (je traduis à la hussarde) :



Rob Liefeld n'a rien à offrir : basique comme une tranche de bacon. Il ne sait pas dessiner. Il ne sait pas écrire. C'est quasiment un petit garçon dont la culture se limite aux emballages de chewing-gums, aux dessins animés du samedi matin et aux comics de Marvel : c'est là toute l'étendue de sa culture. Quelqu'un qui est allé chez lui a remarqué quelque chose : il n'y a pas le moindre livre chez lui, rien que des bédés. Je ne vois rien dans ses travaux qui puisse laisser supposer qu'il existe chez cette personne la moindre profondeur susceptible d'apparaître avec le temps.



Et voilà où je veux en venir : tout au long de ma lecture des Ailes d'émeraude, j'ai eu cette citation en tête, et je pourrais la reprendre à peu près telle quelle pour décrire ce que ce roman m'a laissé entrevoir de la culture de son autrice. Ce n'est pas qu'il est mal écrit, loin de là : c'est très fluide, ça se lit presque tout seul, il y a des tonnes d'action et de rebondissements rondement menés. Mais derrière, qu'est-ce qu'il y a ?


Derrière, on a une histoire censée se dérouler aux États-Unis dont les personnages portent des prénoms aussi américains que Camille ou Tiphaine. Et si ce n'était que l'onomastique ! Rien dans ce livre ne sent l'Amérique, ça baigne dans des référents culturels purement franco-français comme cette comparaison à un rugbyman ou la mention en passant des frères Bogdanov. Enfin, non, pas purement franco-français, puisque la protagoniste n'arrête pas de comparer sa situation à Matrix, à Star Wars ou à X-Men, bref, à des gros blockbusters que tout le monde connaît, même ta grand-mère. On repassera pour de l'intertextualité recherchée : ça ne dépasse jamais la profondeur d'un pédiluve en période de canicule. (Apparemment, pour l'autrice, le summum du film artsy obscur, c'est The Machinist avec Christian Bale. Comment dire…) Cela dit, c'est peut-être aussi bien de s'en tenir au pédiluve, parce que les rares tentatives de passer dans le grand bain sont plus douloureuses qu'autre chose : tenter de coller l'éclatement de la Première Guerre mondiale et la crise des missiles de Cuba sur le dos de fées maléfiques, c'est plutôt grossier.


Parce que oui, ce livre, c'est une histoire de fées. Enfin, ces fées, c'était des humains mutants à l'origine, et puis il y en a des gentilles qui veulent cohabiter pacifiquement avec l'humanité et des méchantes qui veulent exterminer ces salauds d'Homo sapiens qui leur veulent du mal, et vous vous rappelez que j'ai parlé de X-Men tout à l'heure ? Oui, moi aussi j'ai comme une impression de déjà vu. Et le pire, c'est que c'est assumé au point que les personnages eux-mêmes font la comparaison dans le récit ! Faut être plus couillu que Wolverine pour oser ça.


Là-dessus se greffe l'héroïne, qui comme toutes les héroïnes de romans young adult coche toutes les cases du bingo des Mary Sue : elle porte un prénom à la noix, elle est super mignonne avec des gros nichons mais quand même son physique la complexe, elle est bourrée de qualités (qui apparaissent parfois sans crier gare, comme cet amour de la littérature qui tombe de nulle part page 624) et non seulement c'est une fée mais c'est carrément ZE fée qui possède toute la panoplie des pouvoirs alors que les autres n'en ont qu'un ou deux.


Le livre est entièrement écrit à la première personne de son point de vue, ce qui devient rapidement pénible tant son principal mode d'expression est le sarcasme. Comprenons-nous bien, je serais de mauvaise foi si je disais que je n'aime pas les sarcasmes, mais c'est comme le sel : une pincée suffit. Pas la peine de noyer ton steak sous trois salières entières pour cacher le fait que c'est juste un steak (ou une tranche de bacon, pour reprendre l'image de Windsor-Smith). Et comme la plupart des autres personnages n'hésitent pas non plus à lâcher leurs petites piques çà et là, on se retrouve à lire des dialogues épouvantables qui ressemblent à un concours permanent de qui aura le dernier mot. Usant.


J'aurais encore d'autres choses à dire mais je crois que j'ai fait le tour. C'est le genre de bouquin qui vous fait lever les yeux au ciel tellement souvent que vous aurez aussi vite fait de le lire en le brandissant à bout de bras au-dessus de votre tête. C'est dommage, parce que l'autrice sait visiblement écrire. J'espère qu'elle saura un jour écrire quelque chose de plus personnel, qui ne soit pas juste un mélange de blockbusters hollywoodiens et d'autres romans young adult.

Tídwald
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le 10 juil. 2018

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