Le romantisme n'est pas au cœur de nos lectures scolaires ; c'est plutôt l'anti-romantisme qui y domine. Nous relisons Lamartine au prisme de la critique acerbe de Flaubert et du romantisme noir de Baudelaire ; la sécheresse intime et stylistique de "L'Étranger" semble le point de départ de notre littérature actuelle. Lamartine nous paraît dans le lointain, comme un ancien, pétri d'images devenues pour nous des clichés et de bons sentiments qui nous semblent, à nous modernes, presque incompatibles avec la littérature.


C'est pourquoi "Graziella", quand on lui laisse une chance, peut être une claque. Rien ne me disposait à le lire ; je l'ai trouvé dans la boîte à livre au bout de ma rue, et j'ai hésité à la prendre. Ce qui m'a décidé, c'est une forme de curiosité, comme pour une vieillerie étrange, et surtout les dessins profondément ridicules qui accompagnaient l'édition sous ma main et me firent rire. J'étais disposé à lire ce machin "pour ma culture" et pour pouvoir me moquer du romantisme niais en connaissance de cause. Ma pile à lire était pourtant grande, mais, suivant la lecture d'Adolphe de Benjamin Constant, et regardant par morceaux la captation d'une représentation de "Lorenzaccio" à la Comédie Française, je continuais le trip(tyque) romantique.


Cela commence comme un récit de voyage, le périple en Italie ayant toute sa tradition romantique ; "Corinne", de Mme de Staël, est d'ailleurs cité. Marquent les descriptions de la nature, imposées par Rousseau puis par Chateaubriand, mais que Lamartine pose comme des petits tessons très travaillés. On peut noter tout de suite que, durant tout le livre, il n'y aura pas de longs épanchements, de morceaux de bravoure à la Hugo ou Flaubert : tout est brossé, avec la dynamique des récits fins et rythmés. La nature passe de la simplicité des lieux aux deux moments sublimes : la tempête du chapitre 1, la montée du volcan en éruption au chapitre 4.


Cela se poursuit comme une réinvention de la bucolique. Celle-ci se canalise dans la description de la chaumière des pêcheurs et de leur mode de vie. Plusieurs bifurcations interviennent cependant sur la tradition : le récit est à la première personne ; la pauvreté est montrée sans complaisance (l'aspect social est important dans tout l'ouvrage) ; le narrateur, d'origine noble, se rend bien compte que son attrait pour le mode de vie bucolique suscite l'incompréhension de la famille, qui ne peut comprendre qu'on puisse souhaiter la pauvreté. Ils se moquent d'ailleurs régulièrement de ses motivations, lui renvoya un miroir qui l'oblige à une forme d'humilité.


Cela débouche sur un roman d'amour, mais débouche seulement, car c’est dans la dernière partie que l’amour se déclare. La réalité de cet amour est évidente bien avant qu’il ne soit déclaré, et il y a comme un plaisir à voir les deux personnages agir sans qu’ils prennent conscience de cet amour ; c’est là sans doute une réussite du livre. Et, finalement, le récit ne se concentre pas sur le lyrisme amoureux ; au fond, le sentiment est brossé très rapidement, comme tout dans ce petit bijou ; ce qui compte, c’est la naïveté, et la violence de l’arrachement final.


L’analogie avec le dessin est frappante pour saisir ce récit. Il est un petit bijou parce qu’il brosse tout rapidement, prend le détail qui frappe, donne des visions rapides des villes et des visages, ne s’appesantit jamais, tout en laissant entrevoir des dizaines d’images et de pensées : le rapport du jeune Lamartine au contexte napoléonien (l’Italie est alors dirigée par Murat) ; ses lectures, dont Tacite et Bernardin de Saint-Pierre ; son futur engagement social, etc. L’auteur replonge dans sa jeunesse comme pour y trouver la jeunesse du romantisme, avec ses enthousiasmes, ses contemplations et ses mélancolies, qu’il nous rend dans une synthèse presque syncopée, mais profonde et belle.

Clment_Nosferalis
9

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le 31 mars 2019

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