Imaginez-vous dans la rue, un inconnu vous frôle et, suite à ce contact, vous ressentez une espèce de décharge électrique dans le bas-ventre. Le verdict tombe : votre pénis a disparu* ! Vous venez d'être victime d'un voleur de sexe. Si vous n'avez jamais été victime ni entendu parler de tels phénomènes c'est parce qu'ils sont plutôt localisés en Afrique. Parties du Nigéria dans les années 70, les rumeurs se rapportant aux voleurs de sexe se sont répandues dans 17 à 19 pays du continent africain (majoritairement en Afrique de l'Ouest), des années 70 aux années 2000.
L'histoire, à première vue, peut faire rire. Toutefois, la victime d'un vol de sexe dénonçant le coupable, une foule se forme qui lynche ce dernier voire, dans certains cas le tue/brûle/embroche s'il refuse de restituer le sexe qu'il a volé. Le tragique n'est donc pas absent. Mais pourquoi de tels actes et rumeurs ? 1) Parce que l'Afrique est un continent "exotique", où la sorcellerie est toujours présente, les habitants de ce continent apparaissant alors comme irrationnels, etc. 2) Parce que les individus composant la foule sont rationnels : étant nombreux ils ont peu de chances de se faire reconnaître et/ou attrapé et ils peuvent frapper le coupable pour se défouler. Une forme de loisir donc, où les coûts (risque d'être arrêté, identifié par les autorités) sont inférieurs aux bénéfices (décharger la tension accumulé, etc.). 3) La question devrait plutôt se formuler de la manière suivante : "comment rendre compte de la sorcellerie lorsqu'elle cesse d'être un ragot local pour devenir une rumeur transnationale ?"
Si vous avez répondu 1) la suite remettra en question (de manière salutaire) vos croyances ; si c'est la question 2) qui a emporté votre adhésion, vous m'intéressez mais la bonne réponse, du moins celle suivie par J. Bonhomme dans Les voleurs de sexe, est la 3). Cet anthropologue va prendre cette rumeur (même s'il se montre réticent à l'usage de ce terme, souvent utilisé de manière péjorative) au sérieux et l'étudier, à partir de témoignages, d'articles de presse afin de comprendre, à travers elle, une partie des formes contemporaines de la sociabilité en milieu urbain.
Son livre permet ainsi de voir que la rumeur n'est pas un tout unifié mais prend plusieurs formes : le vol de sexe est souvent remplacé par l'idée de rétrécissement du sexe, voire l'impossibilité à avoir une érection ; ces difficultés peuvent survenir suite à un contact, un regard échangé, un frôlement. Il existe donc différentes configurations, schémas qui forment la rumeur des voleurs de sexe. De plus, le vol de sexe a souvent lieu en milieu urbain, entre deux personnes qui ne se connaissent pas. Ce sont souvent des hommes qui occupent les rôles de la victime et du coupable (ce qui retire l'idée de femmes malfaisantes qui voleraient le sexe des hommes pour menacer la domination masculine). Enfin, face à ces rumeurs, l'attitude des individus est ambiguë et prend souvent la forme du "je n'y crois pas mais j'en ai peur" ; "je sais bien mais quand même".
Est alors esquissée une anthropologie de la société médiatique, où les médias peuvent amplifier ou critiquer les rumeurs qui apparaissent, occupant ainsi un rôle ambivalent (apaisent-ils l'incendie ou l'alimente-t-il ?) en même temps que nous pouvons voir comment la rumeur s'inscrit dans la sociabilité urbaine et la remet en question (pour ne pas courir de risque il ne faut pas regarder les autres, ne pas serrer la main, tenir son sexe, etc.).
- Si vous êtes un homme. Dans les cas, plus rares, où ce sont des femmes qui en sont victimes cela va du vol de clitoris au rétrécissement des seins.