Limonov
7.7
Limonov

livre de Emmanuel Carrère (2011)

Ne cherchez plus, il n’y a pas de vie comme celle d’Edouard Limonov vécue par un écrivain capable de l’écrire.
Limonov est un homme russe qui a eu et continue d’avoir une vie trépidante, qualifiée par lui-même de «vie de merde». Il est a la fois fils de tchékiste et petit voyou en Ukraine, mais ça ne l’empêche pas de remporter un prix de poésie et de monter à la capitale pour s’inscrire en tant que marginal dissident, ceci avant d’être expulsé d’URSS et de devenir clochard à New York. Mais l’amour en fait un domestique de luxe, la chance le sauve en dernière minute du meurtre, le talent du vice de la drogue, et l’édition de la déchéance sociale. Voilà qu’à la chute de l’empire soviétique, Limonov retourne sur sa terre russe dans l’intention d’y prendre le pouvoir. En vain, pour l’instant.
Raconter une vie pareille peut se comprendre, mais se sentir capable de l’écrire est de l’ordre de l’exploit. On ne peut être et avoir été: Limonov n’a jamais été un bon écrivain. Egalement, Trotski, auquel il ressemble physiquement, ne l’était pas non plus, tout comme Lénine.
Emmanuel CARRERE, comme tous ces enfants versés dans la cause révolutionnaire, aurait certainement voulu diriger la plus grande armée du monde, d’ailleurs pourquoi pas se retrouver à la tête de cinq mille militants du Parti national bolchévique comme Limonov. Apprenons à tout imaginer. Mais non, il écrit! Et avec sa jolie vie rangée d’écrivain aux multiples talents, il est bien meilleur dans son rôle, pour raconter la vie de ce Limonov, que ce marginal n’aurait pu le faire lui-même. Enfin, pour écrire un tel livre, encore faut-il pouvoir puiser dans cette vie complexe et ardente la force permettant de saisir la rareté du zek déjanté; ça va de soi…
Elle est magnifique la débine de Limonov, et sa morgue, et «son courage», il prend soin de s’en vanter; on a beau savoir que tout est vrai dans cette histoire, on ne peut y croire.
Parfois, face au monstrueux désir de puissance de Limonov, CARRERE se sent contraint d’emprunter l’idée d’un célèbre boudhiste: «L’homme qui se veut supérieur, inférieur ou même égal à un autre homme ne comprend pas la réalité». Nous serions en droit de nous demander: mais «l’homme qui comprend la réalité» est l’oracle de quel programme? Enfin, il est impossible d’imaginer CARRERE détestant son héros pour des raisons d’ordre politiques, sociales ou encore morales, et l’aveu vient vite que ce n’est pas par envie.
Notre romancier est entré dans la vérité de son «Limonov»; il nous le fait saisir par ce qu’il écrit: «Moi, je n’appartenais pas à cette tribu que je feignais de dédaigner et qui en fait m’intimidait. C’est triste à dire, mais je ne suis jamais allé au palace.».
Après un tel tour de force réussie, contournant le récit d’une vie de merde par le talent du savoir écrire, Emmanuel CARRERE a signé ici l’un des plus beau roman de notre décennie; ceci ne fait plus l’ombre d’un doute.
Tempuslegendae
10
Écrit par

Créée

le 10 oct. 2013

Critique lue 226 fois

1 j'aime

Tempuslegendae

Écrit par

Critique lue 226 fois

1

D'autres avis sur Limonov

Limonov
guyness
8

Le virus d'une vie russe

Un héros romanesque, dans la "vraie" vie (vaste définition), est généralement le fruit de deux catégories. Il y celui, qui, confronté à une situation extraordinaire, a réagi d'une façon telle que ses...

le 11 févr. 2012

23 j'aime

3

Limonov
MarianneL
5

Critique de Limonov par MarianneL

Limonov permet de confirmer l'idée qu'un sujet fascinant ne fait pas un grand livre. La vie de Limonov est effectivement fascinante. Hélas, le livre pourrait s'appeler «Limonov pour les nuls»...

le 19 avr. 2012

18 j'aime

1

Limonov
Pravda
9

Plusieurs vies en une

Edouard Limonov est un personnage atypique, détestable pour certains, passionnant pour d'autres, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne laisse en tout cas personne indifférent. Emmanuel...

le 26 déc. 2012

17 j'aime

1

Du même critique

Calligrammes
Tempuslegendae
10

Critique de Calligrammes par Tempuslegendae

APOLLINAIRE est-il ce poète démarqué dont bon nombre de personnes ont parfois du mal à saisir l’essence de ses textes? Ce n’est pas dans le lourd héritage du fatras symbolique, fût-il déplacé par le...

le 8 oct. 2013

5 j'aime

Une certaine fatigue
Tempuslegendae
9

Critique de Une certaine fatigue par Tempuslegendae

Peut-on aimer jusqu’à en mourir? Savante question qui à mon sens n’avait pu être satisfaite par aucun livre. Jusqu’à ce qu’un romancier raconte «Une certaine fatigue»… Sous ce beau titre fleurant la...

le 9 nov. 2013

3 j'aime

1

Lettres retrouvées
Tempuslegendae
9

Critique de Lettres retrouvées par Tempuslegendae

Emporté par une fièvre typhoïde, Raymond Radiguet s’est éteint à l’âge de 20 ans, un matin de vendémiaire 1923. Le fidèle pygmalion Jean Cocteau, terrassé par le chagrin, ne put assister à ses...

le 31 oct. 2013

3 j'aime