Attachez vos ceintures

Une pure merveille. Je ne sais pas si c'est mon livre préféré, mais c'est certainement celui qui m'a le plus secoué. La forme, d'abord. Un plaisir absolu. Le style est très particulier, mais on s'y fait vite: il participe à l'envoutement du lecteur; j'y reviendrai après. Le fond, ensuite. Dévastateur. L'histoire n'est pourtant pas compliquée : un adulte nous raconte, à la première personne, sa passion dévorante pour les nymphettes, des jeunes filles, et notamment celle pour Lolita, âgée de douze ans.
Néanmoins, le thème du livre n'est pas la pédophilie. Le thème, c'est le lecteur. C'est lui qui est visé, et c'est lui qui va déguster. Pour les plus aventureux qui parviendront jusqu'aux dernières pages, et qui penseront bêtement qu'ils ont traversé le pire, c'est la fin, excellente, qui va les broyer. Au fur et à mesure du livre, Nabokov nous envoute doucement et nous lie au personnage principal. On comprend sa psychologie. On partage sa passion. On ressent son désespoir. Mais ce qu'on oublie, c'est que l'histoire est racontée par un seul angle de vue. Progressivement, on s'enfonce avec le narrateur dans ce qui n'est pas le mensonge, mais qui n'est pas non plus le vérité . Et lorsque vers la fin, la perspective change, lorsque d'un claquement de doigts, l'auteur décide de nous écraser la vérité au visage, c'est l'horreur. On se dégoute nous même de s'être laissé égaré. Tout dans le livre (le style fantastique, les péripéties captivantes, les avants-propos inventés) nous entraîne vers cette chute. Même le passage précédant la dernière partie, qui semble tirer en longueur, n'est qu'un silence musical calculé pour sublimer le final. Que le lecteur essaie de deviner là où on l'emmène, ce sera en vain: Nabokov aura toujours en main un coup d'avance, il en aura même trois, dix, mille.
Un chef d’œuvre pour moi donc, vous l'aurez compris! Ce qui justifie la note: personnellement j'ai du mal à mettre dix, et ici, elle ne souligne pas la perfection. En art, c'est un non sens. Le dix exprime le sublime, plus subjectif, plus explosif. Lolita est le genre d’œuvre qui vous bouleverse ,qui vous touche, qui vous transporte bien au delà de l'analyse. Ici, c'est le livre qui vous analyse; c'est lui qui vous note!