Une somme éclairante sur le dernier grand roi de France

C'est un gros volume d'à peu près mille pages de texte (hors annexes diverses). À moins d'être historien, ça ne se lit pas en une semaine, si on veut un peu mémoriser toutes les informations que recèle cette aimable brique. Certains chapitres sont passionnants, d'autres moins, selon les sujets abordés. C'est très complet. Une fois qu'on l'a lu et qu'on a assimilé son contenu, on sait quasiment tout sur Louis XV, sa personnalité et ses 59 ans de règne (1715 - 1774), sur son gouvernement et ses ministres (Cardinal de Fleury, Machault d'Arnouville, comte d'Argenson, Choiseul, Maupeou), sur la politique intérieure de la France, son développement économique, intellectuel et artistique durant ces presque six décennies, comme sur le rôle politique qu'elle a joué en Europe et dans le monde pendant toute cette période.
Pour bénéficier de toute la substantifique moelle de ce chef d'oeuvre d'érudition (pour reprendre l'expression employée par l'historien François Bluche dans son propre Louis XV publié chez Perrin en 2003), il est presque indispensable d'avoir près de soi un bon glossaire définissant succinctement les termes rencontrés (ce que sont au XVIIIème siècle, sous l'Ancien Régime, une "feuille des bénéfices", un "maître des requêtes", un "intendant", une "généralité", un "président à mortier", un "appel comme d'abus", une "jurande", les "terriers", etc.) et pour ma part, j'ai utilisé celui contenu justement dans le Bluche cité plus haut.
J'ai mis un bon mois à lire et assimiler le livre de Michel Antoine, alors que j'avais déjà pas mal de connaissances du domaine, ayant lu auparavant d'autres ouvrages sur le même sujet. Le livre a exigé toute mon attention.
C'est une indéniable réhabilitation de Louis XV, du monarque et de son règne. C'était un homme à la fois très intelligent, très instruit et même savant, avec une mémoire exceptionnelle. Il fut en butte à de grandes difficultés intérieures (politico-religieuses) suscitées par une fronde janséniste et parlementaire acharnée à battre en brèche son autorité et à paralyser son pouvoir, afin ultimement d'instaurer un gouvernement des juges. De ces difficultés intérieures, les puissances européennes rivales (surtout la Grande-Bretagne, bientôt aidée de la Prusse) surent tirer parti, notamment lors de la calamiteuse Guerre de Sept ans (1756 - 1763). C'est ainsi que le traité de Paris du 10 février 1763 nous fit perdre la plus grande partie de notre empire colonial (l'Inde, le Canada ou Nouvelle-France, l'Ohio et la rive gauche du Mississipi, la Louisiane...). Quoi qu'il en soit, le long règne de Louis XV a été plutôt bénéfique pour la France qui y a gagné deux belles provinces (la Lorraine et la Corse) et a bénéficié d'un développement remarquable de son économie, de son industrie, de ses commerces, de ses villes, ses ponts, ses routes, comme de sa population et de sa richesse en général. Michel Antoine nous détaille le pourquoi et le comment de tous les évènements et caractéristiques du règne et la façon dont Louis XV et son Conseil ont géré tout cela.
Sa mort inopinée, du virus de la variole, à 64 ans (alors qu'il avait encore toutes ses capacités, qu'il avait su réaffirmer l'autorité de la monarchie en mettant enfin au pas les parlements et que la France était en pleine restauration et redressement de sa puissance militaire, de ses armées, notamment de l'artillerie, et même de sa marine) fait passer le gouvernement de la France entre les mains de son petit-fils, le timide et inexpérimenté Louis XVI, même pas âgé de 20 ans et, hélas, bien mal préparé à lui succéder. D'où qu'on reproche parfois à Louis XV son fameux "Après moi, le déluge", une réflexion pour le moins désabusée (même s'il ne l'a pas formulée en ces termes) montrant peut-être son pressentiment du cataclysme politique et sociétal qui interviendra moins de vingt ans plus tard.

Assez ardue mais passionnante, la lecture du Louis XV de Michel Antoine ne nous laisse rien ignorer de la personnalité du dernier grand roi de France et de tous les évènements, tenants et aboutissants de son règne. L'ayant lu, on comprend beaucoup mieux les fondements et prémices de la Révolution française.

P. S. La page de couverture du volume montre le dernier portrait du roi peint quelque semaines avant sa mort.

À ceux qui ont aimé cette critique, je signale que j'en ai écrit une autre sur Le Siècle de Louis XV de Pierre Gaxotte, ouvrage qui a sans doute encouragé Michel Antoine à s'intéresser à ce souverain https://www.senscritique.com/livre/Le_Siecle_de_Louis_XV/critique/242526374.