Étrange roman, qui divise et oppose encore. Un roman où l'on peut, dès le cadre posé (ça prend du temps quand même, Flaubert part loin en amont, décidant de dérouler son récit chronologiquement à partir de la base de son sujet : Charles Bovary est naze), deviner tout de l'intrigue (ou en tout cas les grandes lignes). C'est un livre où chaque personnage est méprisable (même Charles, oui, l'innocence et la naïveté n'excusent rien), où rien ne se passe, et où, très franchement, rien n'a d'intérêt. C'est bien entendu ce que fait Flaubert avec tout cela qui en fait un livre unique, important dans la littérature en général et la littérature française en particulier.


Personnellement, je fais partie de la catégorie de ceux qui ont trouvé cette lecture très intéressante à bien des titres, mais qui ont vécu cela malgré tout comme une purge tant... bah c'est chiant. Et, je le développerai tout de suite, j'ai un peu du mal avec ce que Flaubert livre de lui à travers cela.


Ce qui rend ce roman exceptionnel est sans doute ce qui le rend insupportable à d'autres : la quête de la virtuosité. Flaubert veut être parfait... mais du coup, par contraste, il nous livre des personnages terriblement imparfaits. Oui, c'est un postulat... mais ce mépris bourgeois est très souvent profondément insoutenable. Parce que oui, si tu dis que Charles est chiant et con, qu'Emma est superficielle et égoïste (entre mille autres défauts), que le pharmacien Homais est prétentieux et ambitieux, que Rodolphe est manipulateur et lâche, et que la plupart des autres personnages sont idiots... bah ce que ça dit de toi, c'est que tu te sens au-dessus de tout ça. Alors oui, d'accord, on parle de Flaubert, et c'est un peu superficiel de le réduire à cela, évidemment, mais ça n'en reste pas moins une impression lancinante et permanente tout au long du récit, de lire un incurable égotiste (au sens péjoratif du terme) qui se dessine par contraste avec le reste de la société. Je pense que plus que l'ennui, c'est cette présence très sensible d'un auteur méprisant qui en rebute plus d'un.


Cela étant, difficile de ne pas être fasciné par le tableau que Flaubert nous livre. Ce qui m'a le plus marqué, je pense, c'est l'importance des silences de l'auteur. On parle souvent des descriptions de l'auteur en louant leur précision, leur caractère réaliste et saisissant, mais je trouve que là où il confine au génie littéraire, c'est dans sa manière de gérer le dit et le non-dit, de suggérer une insulte en choisissant précisément ce qu'il en dit, de rendre une scène d'adultère d'autant plus glauque qu'elle est suggérée avec la pudeur réservée habituellement aux premiers émois. Le roman est moins contenu dans le texte en lui-même que dans ce que le texte ne dit pas, et c'est pour moi un tour de force fascinant que je n'ai jamais retrouvé avec autant de force et de virtuosité ailleurs. Il se crée un dialogue, un jeu avec le lecteur, qui ressemble plus à la complicité qu'on peut avoir avec un vieil ami qu'au style d'un auteur.


Il est d'ailleurs impressionnant de voir à quel point la langue de Flaubert est intemporelle, se comprend sans aucune difficulté par un usage heureux de tournures et d'expressions de l'oralité. Dans le même ordre d'idée, les situations, les descriptions de l'auteur nous parlent et renvoient à des motifs et des personnes que l'on connait, ou qui en tout cas ont parfaitement leur place dans notre contemporanéité. C'est intemporel.


Pour toutes ces raisons, et sans doute d'autre, même si j'aurais du mal à dire que j'aime réellement Madame Bovary, je pense que c'est effectivement un grand roman.

Antevre
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le 9 oct. 2017

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