Mansfield Park
7.3
Mansfield Park

livre de Jane Austen (1814)

A ce que j’ai entendu dire, les gens n’aiment pas Fanny Price. J’adore Fanny. Fanny est fade, renfermée, pleine d’insécurités, ne cherche pas à se mettre en avant; cherche même à se rendre le plus invisible possible. Elle pense être insignifiante et d’une certaine manière elle l’est; aux yeux des autres. Fanny est une bonne personne vraiment, pleine de qualités. Elle est une personne que personne ne reconnaît, qui semble aux yeux de tous - même des lecteurs - sans intérêt. Oui elle est timide et manque décidément de confiance en elle. Mais pourquoi ? Si c’est facile de prendre conscience de sa valeur quand tout le monde l’a toujours traitée comme une moins que rien ! Fanny est gentille mais même ça, on dira plutôt qu’elle est trop gentille, qu’elle ne sait pas dire non, qu’elle se laisse marcher sur les pieds. Il n’y a rien du plus faux ! C’est doublement faux ! Fanny ne se contente pas d’obéir et d’être soumise, elle fait attention aux autres, a de ces petites attentions invisibles qui peuvent parfois presque donner l’impression contraire. Comme quand elle refuse de poser trop de questions à Sir Thomas de peur de sembler chercher à se faire remarquer aux dépends de ses propres filles qui n’ont strictement rien à faire de ce qu’il raconte. Deuxièmement : elle ne se laisse pas marcher sur les pieds, loin de là. Pas quand c’est important pour elle en tout cas. Fanny a des principes, et elle refuse ce qui lui semble aller à leur encontre - que ce soit jouer une pièce de théâtre ou épouser Henry Crawford. Et grands dieux il en faut de la force de caractère quand tout le monde est là à la blâmer et essayer de la convaincre ! Mais bon, avoir des principes ça semble ennuyeux, Fanny semble ennuyeuse, et peut être que c’est ce qui me parle tellement - pas tant Fanny elle même qu’associée à cette idée que le monde n’est pas capable de l’apprécier.


Sur la 4ème de couverture de mon édition anglaise, il est écrit “Mansfield Park is a subtle, moving examination of the contrast between superficial charm and true integrity.”. C’est exactement ça. Et il-y-a tous ces personnages qui se croient tellement meilleurs qu’elle et qui n’ont juste aucune contenance, aucune intériorité, que du vernis que des paillettes. Ces personnages qui ne se sentent jamais aussi vivants que quand ils jouent la comédie et qui jouent probablement la comédie même quand ils ne jouent pas la comédie. Brillant mais faux, pas authentiques pour deux sous, du toc. Et j'aime Fanny, ses principes et ses insécurités, sa douceur et sa rigidité. Et je déplore de vivre dans un monde où l'extérieur compte plus que l'intérieur, et où l'intériorité semble disparaître petit à petit jusqu'au moment où cette fausse façade sera la seule réalité.



on ne pouvait donc s'étonner si, malgré leurs talents prometteurs et leurs clartés précoces, elles n'aient fait preuve d'aucune de ces qualités moins répandues que sont la connaissance de soi, la générosité et la modestie. L'éducation qu'elles recevaient était en tout point admirable, sauf en ce qui concernait la formation du caractère.



Les gens n'aiment pas Edmund non plus, et beaucoup auraient préféré Fanny/Henry. Que reprochent-ils à Edmund ? Il passe son temps à penser à Mary qui ne le mérite pas et ne remarque même pas Fanny qui l'adore ! Ca se fait pas ! C'est assez amusant. Vous vous souvenez toutes ces comédies romantiques avec la fille amoureuse du garçon populaire qui finit par réaliser que c'est un gougeât et que son meilleur ami était amoureux d'elle tout du long et qu'ils seraient tellement heureux ensemble ? Est-ce que qui que ce soit blâme cette fille, l'héroïne lambda de comédie romantique ? Que nenni ! Quelle est la différence ? Edmund est un garçon ! Et tout est là, dans ces fichus double standards. Dans un monde où l'on (et la fiction en particulier) semble dire aux filles "Accepte celui qui s'intéresse à toi et abandonne celui que tu ne peux pas avoir – il ne vaut probablement pas le coup de toute façon" et dire aux garçons d'aller après ce qu'ils veulent, de ne pas abandonner et qu'ils finiront par l'obtenir, tout le monde est choqué quand les rôles se trouvent inversés. Edmund réalise que celle qu'il croyait vouloir était loin d'être celle qui pourrait le rendre heureux et finit par réaliser que Fanny est celle-ci. Fanny n'abandonne pas l'inatteignable Edmund pour Henry qui est fou d'elle et au final Edmund lui rend son amour. Henry poursuit Fanny de son amour et pourtant elle ne finit jamais par le lui retourner. Tous les schémas sont détruits ou renversés et c'est merveilleux parce qu'il ne devrait pas y avoir de double standards. Et aucun de ces schémas ne contient une vérité universelle, que ce soit pour les filles ou pour les garçons. La même vérité s'applique pour tous. On peut tous se tromper sur qui est vraiment la personne en face de soi. On peut tous prendre un peu de temps à réaliser que la bonne personne était là tout du long – je suppose. Et on peut tous voir ou non son amour retourné.


Et le gars populaire peut être une personne très bien, comme le meilleur ami peut se révéler être un gougeât. Et le gentil garçon n'est plus un gentil garçon quand il estime que du coup la fille se doit de l'aimer en retour. Fichu Henry Crawford, papillonneur convaincu soudain atteint du nice guy syndrome. Personne ne mérite personne ! Ce n'est pas une histoire de mérite ! On ne peut pas mériter une personne. Chacun fait ses choix, a ses préférences, et s'ils ne veulent pas de toi ça ne sert à rien de t'obstiner, point final. Ce n'est pas juste que ça ne sert à rien, c'est que c'est complètement irrespectueux – pour l'autre comme pour toi. Tu crois que tu sais mieux qu'elle ce qui est mieux pour elle ? Tu crois que le fait de reconnaître son existence, d'être gentil avec elle, de faire attention avec elle, devrait être récompensé ? Tu crois que celui qui reconnaît le mieux son mérite la mérite ? Tu le crois, tu l'as dit, presque textuellement. Et la personne que tu es toi en général, et avec les autres, et le fait que ce ne soit pas ce qu'elle veut elle, que tu ne sois pas ce qu'elle veut, on en parle ? Tu crois que tu peux la rendre heureuse ? Mais on est chacun le meilleur juge de son propre bonheur, et elle pense que non alors c'est non. Tu crois qu'elle est la seule à pouvoir te changer, à pouvoir te rendre meilleur, et que de ce fait ça devient son devoir ? Tu ne réalises pas que la seule personne qui puisse te changer c'est toi-même, et que si tu le fais ça doit être parce que tu le veux toi et pas pour une autre personne. Autrement ça ne marchera pas ; ça n'a pas marché. Alors ces histoires de persistance c'est n'importe quoi ! Les personnes sont des personnes avec leur propre indépendance d'esprit, qui font leur choix, et tu peux seulement respecter ces choix et ensuite faire ce qui est le mieux pour toi pour l'accepter et passer à autre chose. Poursuivre activement ton propre bonheur plutôt que des chimères ou des gens qui n'ont aucune envie d'être poursuivis ! Tu crois que c'est un honneur ? Tu veux être récompensé pour ton total manque de respect ? Et le fait que tout le monde blâme Fanny et personne ne blâme Henry en dit tellement sur le monde - malheureusement, ça ne se limite pas vraiment à une histoire d'époque. Et le fait que Fanny soit consciente de tout ça, et qu'elle soit capable de le dire, étant donné les circonstances dans lesquelles elle a grandi qui plus est; honnêtement je l'admire. Et je méprise Henry, mais tellement ! Et je pardonne à Edmund, sans hésitation.



« J’eusse cru », dit Fanny, après s’être fait violence un instant et avoir rassemblé ses esprits, « que toutes les femmes pouvaient comprendre qu’il était possible à une personne de mon sexe de ne point accepter, ni aimer un homme, fût-il infiniment aimable. Et si même cet homme avait toutes les perfections, on n’en devrait pas pour autant considérer comme chose établie que le devoir d’une femme est de l’accepter, sous prétexte qu’il se trouve éprouver à son égard quelque affection.»


Miss-Naïs
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le 14 juil. 2015

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