Mantra
7.8
Mantra

livre de Rodrigo Fresán (2001)

Rodrigo Fresan est un gars logique. Quand on lui a proposé d'écrire un livre sur Mexico, il a tout d'abord constaté que la ville n'était pas tout à fait une banlieue pavillonnaire danoise, question ordre et cohérence. Alors il s'est dit qu'il ne pouvait décemment pas en tirer une histoire bien calibrée, peignée comme un enfant de choeur, et il a décidé d'y coller tout ce qui l'inspirait sans souci d'épure ou de sobriété.

Forcément, cette piñata livresque est impossible à résumer. En gros on distingue trois parties, toutes placées sous l'ombre du mystérieux Martin Mantra, allégorie personnifiée de Mexico ville et pays sous sa double initiale :
- Un narrateur à la mémoire qui flanche nous raconte son enfance marquée par l'amitié avec le fameux MM, dernier rejeton d'une famille de timbrés qui règne sur le monde des inter-minables telenovelas.
- Un français, ex de la cousine de MM, nous déroule son abcdaire personnel de Mexico, comme un guide touristique fait de ses rencontres et expériences dans la ville. Le tout en direct live from le Mictlan, la strate la plus profonde de l'au-delà aztèque, puisque qu'accessoirement le monsieur est mouru.
- Un épilogue futuristico-apocalyptique dans une neo-capitale à la merci du réveil des volcans, narré par une momie de métal à la recherche d'un certain Mantrax...

Je le vois bien, dit comme ça on dirait que j'ai mis du chichon dans un burrito avant d'allumer le tout. Du coup, livre superficiel ? Délire en roue libre ? Rien de tout ça gringo. Fresan enquille bel et bien les anecdotes décalées et se fait plaisir sur le name-dropping, mais ce n'est jamais déconnecté de tout propos. Il y a la volonté de donner du sens, avec une gravité présente en filigrane. Les souvenirs, la passion, la mort, peu importe, on peut s'autoriser une forme libre quand on est capable d'en dire plus en quelques mots qu'un paquet d'auteurs qui tritureraient méthodiquement le même thème sur des chapitres entiers. Privilège de pouvoir partir dans toutes les directions sans jamais réellement se perdre, un peu comme un type qui entrerait dans un labyrinthe et y tracerait son chemin sans stress ni effort, l'air désinvolte, alors qu'il vient de vider une bouteille de mezcal.

Des trois parties, la centrale est la plus longue mais aussi la meilleure. Le découpage en abcdaire mixe les thèmes et les digressions, du folklore national pur type dieux aztèques exterminateurs ou catcheurs à masques fluos, jusqu'à des choses plus quotidiennes et universelles. Le narrateur y mêle plein de références pop-culture (La 4ème dimension, La horde sauvage, Gainsbourg, Dylan, etc.) et nous esquisse en parallèle sa propre histoire version puzzle. C'est inventif, souvent drôle, servi par de foutues punchlines, et surtout, surtout, surtout... il y a le plaisir de ne jamais savoir de quoi parlera la page suivante.

PS : Huitzilopochtli, Quetzalcoatl, Tenochtitlan, Coyolxauhqui... je me demande si la chute de la civilisation aztèque ne serait pas surtout dûe à l'abus de noms improbables. Du genre les orthophonistes sont tous devenus dingues et ont décimé la région avant de se pendre.
VilCoyote
9
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le 19 août 2014

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VilCoyote

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