"Mémoires d'Hadrien" est un ouvrage qui nous a été légué par la grande écrivaine Marguerite Yourcenar.
L'histoire commence ainsi : Hadrien, illustre empereur romain, vient de rendre visite à son médecin Hermogène, apprenant qu'à cause d'une maladie du cœur, ses jours sont désormais comptés. C'est pourquoi, sentant sa fin approcher, il s'attelle à la rédaction de ses mémoires.


Dans la diégèse de l'œuvre de Yourcenar, l'entièreté du texte relate les faits du point de vue interne de l'empereur tel qu'imaginé et caractérisé par la romancière. Il se présente comme une autobiographie fictive qu'Hadrien souhaite transmettre à son successeur Marc-Aurèle.


Il y relate alors sa vie, son règne, les réalisations qui lui vaudront de passer à la postérité comme ses plus cuisants échecs, telle la révolte de Palestine, réprimée dans le sang alors qu'il souhaitait pourtant se distinguer du bellicisme de ses aïeux.


Le récit se décompose en quatre parties, chacune correspondant à une phase clé du parcours de l’empereur, la prometteuse ascension laissant peu à peu place à la chute. La première étape, « Varius multiplex multiformis » (Varié, complexe, changeant), revient sur sa jeunesse en Espagne, la guerre contre les Parthes et l’accession au trône après le décès de l'empereur Trajan. La seconde, « Tellus stabilita » (La terre retrouve son équilibre), se focalise sur ses grandes réformes et met en lumière son tempérament. « Saeculum aureum » (Siècle d'or) marque sa consécration à tous les niveaux, d'autant qu'il vit alors une histoire d'amour passionnée avec un jeune garçon nommé Antinoüs. Pour finir, « Disciplina augusta » (Discipline auguste) apporte son lot de revers de fortunes et désillusions, auxquels s'ajoute l'affliction causée par la mort d'Antinoüs, au crépuscule d'une vie. L'accès à une certaine forme de sagesse permet toutefois d'y faire face.


Par les yeux de Marguerite Yourcenar, l'empereur Hadrien, malgré la stature qu'est censé lui conférer son titre, s'avère être un personnage éminemment complexe, à notre portée car confronté tout comme nous aux misères humaines, ce qui inclut les doutes et atermoiements que chacun peut connaître à un certain stade de sa vie. Les contradictions entre ce à quoi il aspire et la réalité de ses actes, qui ont parsemé un règne dont il retrace méthodiquement le déroulement, l'amènent à plusieurs reprises à se remettre en question, cherchant en bon stoïcien à tirer un enseignement constructif de ses expériences. Il est d’ailleurs à noter qu'Hadrien a passé beaucoup de temps chez les Grecs, ce qui a sans doute contribué à forger son esprit et son caractère.


Voilà un ouvrage qui se démarque sur bien des aspects. Par-delà la rigueur académique en vue d'ancrer le livre dans un contexte historique crédible, attestant de l'érudition de Yourcenar pour l'Antiquité romaine, cette œuvre se distingue également par la rigueur du style et un réel souci d'authenticité, faisant d'Hadrien un personnage aux multiples facettes, à l'instar par exemple de sa passion pour les arts. Ce n'est pas tant quand il est affecté par les charges inhérentes à sa fonction que lorsqu'il nous fait part de ses considérations existentialistes que l'individu nous semble proche. Il fait par ailleurs preuve de lucidité, ce autant sur les affaires du monde qu'en ce qui concerne les relations humaines.


Notons enfin que malgré un traitement qui témoigne d'une solide connaissance des sources que nous avons sur cette période, la pensée de Yourcenar tend par moment à se confondre avec celle du narrateur interne et protagoniste de son récit, notamment lors de certaines assertions qui ne manqueront pas de nous interpeller : « Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l'esclavage : on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d'imaginer des formes de servitudes pires que les nôtres, parce que plus insidieuses : soit qu'on réussisse à transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu'elles sont asservies, soit qu'on développe chez eux, à l'exception des loisirs et des plaisirs humains, un goût du travail aussi forcené que la passion de la guerre chez les races barbares. A cette servitude de l'esprit, ou de l'imagination humaine, je préfère encore notre esclavage de fait. ».


La richesse littéraire et la profondeur des réflexions qui l'émaillent font assurément de "Mémoires d'Hadrien" une œuvre d'exception, que je vous conseille de lire.

Wheatley
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le 7 août 2018

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