La "vie privée", à l'heure d'un internet entièrement phagocyté par les Gafam, est une bien belle idée surannée et bien plus virtuelle que les octets qui composent les informations d'un ordinateur.


J'ai toujours admiré ce mec. Mais j'avais bien du mal, malgré un acharnement un peu bizarre, à saisir ce qui a poussé cet américain à dénoncer le plus grand scandale (et de très loin) de surveillance jamais survenu.


Snowden, qui a grandi à cheval entre la fin des années 90 et le début des années 2000 a été, comme l'ensemble du monde, complètement choqué des attentats survenus le 11 septembre 2001. Geek jusqu'au trognon comme on pouvait l'être à l'époque (l'informatique, internet étaient quand même réservés à des initiés), il a décidé, manipulé par les mensonges du gouvernement américain après ces attentats, de devenir un soldat. Puis, de fil en aiguille, grâce à son intelligence qui me semble personnellement hors norme, il a pu intégrer extrêmement jeune la CIA et ensuite la NSA, soit directement employé par le gouvernement, soit via des sociétés privées (Dell par exemple, et c'est important pour bien comprendre les tenants économiques qui sous-tendent le renseignement et l'industrie de la défense en général, que ce soit aux USA ou en Europe).


Ce livre, pour qui s'intéresse à l'écosystème numérique qui domine chaque parcelle des vies de la plupart d'entre nous, est une nécessité afin de saisir la logique sous-jacente ET des états ET des entreprises qui souscrivent - dès lors que leurs profits sont assurés - à ce type de surveillance de masse qui ne laisse absolument rien passer (à moins de posséder une hygiène en ligne irréprochable).


Les accroches marketing du bouquin ont l'air d'être exagérées : "Rien ne sera jamais oublié" etc. Et pourtant, le plus choquant, c'est qu'il s'agit de la stricte vérité.


Câblés sur les tuyaux planqués dans les fonds marins, les USA, qui jouissent de l'avantage non négligeable d'être à l'origine de ce qu'on nomme Internet tel qu'on le connaît maintenant (même si la genèse, les évolutions, techniquement, sont d'origine plus subtile), ont mis en place, à l'insu même des espions travaillant pour le gouvernement, à l'insu même de dirigeant très haut placés, un système qui a eu et a encore probablement pour but de non seulement tout enregistrer, mais également, et c'est le plus important, de tout conserver.


Ou comment, au désavantage de tous - liberté devenue factice par la surveillance générale, paranoïa permanente - , quelques connards, avec la bénédiction de quelques autres, ont pu ériger un système qui, s'il n'est pas vraiment efficace pour stopper le terrorisme (et ne le sera à mon sens jamais, mais ce n'est pas le sujet), a permis au moins à certains opérateurs de pouvoir lire en direct les mails de leurs petites copines (histoire véridique). Pour celle et ceux d'entre vous qui souhaiteraient élever au rang d'art le "stalkage", sachez qu'il existe une voie toute trouvée : intégrer un service de renseignement en tant qu'opérateur réseau. Mais passée cette boutade, cela a également permis aux USA d'espionner des dirigeants du monde entier, et par la même de donner des renseignements d'importances vitales pour les pays visés. Mais notons également que cela a mis la vie privé de centaines de millions de citoyens à la portée d'une petite clique, dont Snowden faisait partie.


La teneur du livre est proprement hallucinante. J'avais un souvenir un peu gazeux de tout ça, et pour cause : depuis lors, presque ou rien n'a été fait afin de palier à ce type de dérive et presque tout a été fait afin de reléguer cette histoire au passé. La RGPD, présentée comme une grande avancée pour la protection des données personnelles, est bien maigre face à un tel déploiement d'argent et de jus de cerveau. De plus, elle concerne surtout des entreprises privées comme les GAFAM et, ce qu'elles sont obligées d'accepter d'un côté, elles le conspuent de l'autre en étant des partenaire privilégiés des services de renseignement. Et ce n'est pas une interview sur France inter, aussi vite oubliée que publiée, qui aura fait le buzz pendant 2 jours, qui fera en sorte de régler ce qui s'avère un des plus gros problèmes de notre époque.


De plus, cela n'empêche pas des gouvernements comme le nôtre, bien aises que de telles choses puissent être techniquement possibles, de vouloir pomper nos informations afin de soit disant savoir si vous fraudez le FISC ou non.


Bien évidemment, ce type de coercition fut utilisé avec le même type d'argument à la truelle concernant les mesures prises contre les hooligans dans les stades de foot par exemple, ou encore les lois contre le terrorisme, avec la suite que l'on connaît : beaucoup d'éborgné.e.s et de capitaines crochet, histoire de pouvoir encore faire coucou aux FDP du gouvernement le jour du 14 Juillet. Et surtout, n'oubliez pas de sourire, d'être au garde-à-vous (une main suffit) car vous êtes filmés. Même chez vous.


Un indispensable.

batche
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le 7 oct. 2019

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