"L'insoutenable légèreté de l'être"

Absence d'actions, éloge du néant, apologie du rien.

Autant de figures stylistiques pour lesquelles Bret Easton Ellis a été aussi bien encensé que critiqué. Narrant les errances d'un jeune homme, Clay, issu de la jeunesse bourgeoise de Los Angeles, l'auteur nous entraîne avec lui comme témoin du cercle sans issue duquel et prisonnier son personnage ainsi que tout le microcosme qui l'entoure. Le livre est comparable à une nuée de noms inconnus, de dialogues futiles, de récits oiseux; entrecoupés de flashbacks intimes. Demeure là la fascination qui émane de la narration : tel un Salinger contemporain, Ellis brosse le portrait d'une jeunesse gangrénée par l'argent et d'une Amérique en proie à une crise sociale imminente, via le prisme du regard de Clay.

Seulement, en filigrane de la dimension sociologique, s’immisce la dimension philosophique. Clay, au cœur d'un tourment introspectif jamais complètement dévoilé au lecteur, exprime ses craintes face à l'avenir et à la vie ; et met ainsi en exergue les angoisses de tout un chacun. "Disparaître ici", le leit motiv du roman, dévoile le propos, latent tout au long du livre, qui questionne sur notre place en tant qu'être humain, dans la société et face à la mort. Les relations humaines, également nœud de l'intrigue (si tant est qu'il y en ai une), sont mises à mal, tourmentées, jamais franch(i)es et pleines de tabous. Un propos qui, au premier abord simpliste, s'avère profondément riche et porteur d'interrogations et de perspectives sur les valeurs humaines.

Sur la forme, Ellis a beaucoup été critiqué en termes de pauvreté littéraire ; usant et abusant des dialogues, descriptions du quotidien et successions d'actions déliées. Ainsi j'aurai pu titré "L'insoutenable légèreté de lettres" ; mais c'est dans cette particularité d'écriture que réside tout l'intérêt du roman. Ce minimalisme voulu, qui se retrouve dans la diégèse, cette volonté de redondance des situations et des structures ; couplés à la confusion ambiante du roman, font de "Moins que Zéro" une œuvre intrigante et intemporelle, à vertu cathartique à la fois pour son auteur et pour son lecteur.
CamilleDlc
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le 10 déc. 2013

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le 11 déc. 2013

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CamilleDlc

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