Salut à tous,

Cette fois, je m' attaque à un auteur qui a réellement beaucoup compté pour moi et qui compte encore. C' est Céline. D’abord, il faut s’habituer à l’écriture tellement différente de celle rencontrée aujourd’hui. Céline écrit comme il parle, ou plutôt comme il pense. Des phrases très courtes séparées entre elles par des points de suspension comme on passe d’une idée à une autre sans attendre, sans presque respirer. Il faut lire Céline ou non, il faut le lire mais à voix haute. Ou alors écoutez-le…

Mort à Crédit. Le livre qui a connu un réel écho en 1936. Le livre du style et de la misère humaine. Les misérables d' Hugo passent à côté pour une gentille balade en forêt, ou au bord de l' eau..... C' est un livre éminement noir dans sa première partie. Mais plus légère et hilarante dans sa seconde à partir de son séjour à Londres. Bref, je m' égare.

De quoi parle ce livre ? " Mort à Crédit ", c'est l'histoire d’un petit garçon dont la mère est mercière et le père petit employé dans une grosse compagnie d'assurances. Son aire de jeu est une galerie marchande couverte et chauffée au gaz. Pour trouver un peu d’air on va hors de Paris chez l'oncle. On est pauvre chez les Destouches et ça gueule beaucoup, entre les colères du père et les jérémiades de la mère. L'incroyable voyage en Angleterre !. Je ris chaque fois à ne plus en pouvoir !… Je vous livre l'extrait. un modèle du genre !. Tout le monde sur le bateau est malade, alors cela donne : " Tu vois toi aussi Ferdinand il t’est resté sur l’estomac le thon !… Nous refaisons l’effort ensemble… Bouah !. et Bouah !. Elle s'était trompée ! c'est les crêpes !… Je crois que je pourrais produire des frites… en me donnant plus de mal encore… En me retournant toute la tripaille en l’extirpant là sur le pont. J’essaye. Je me démène. Je me renforce. Un embrun féroce fonce dans la rambarde, claque, surmonte, gicle, retombe, balaye l’autre pont. L’écume emporte, mousse, brasse, tournoie entre nous toutes les ordures… On ravale. On s'y remet. A chaque plongée l'âme s'échappe. on la reprend à la montée dans un reflux de glaires et d'odeurs… Il en suinte encore par le nez, salées, c'est trop !… Un passager implore pardon… Il hurle au ciel qu'il est vide !. Il s'évertue !. Il lui revient quand même une framboise !… Il la reluque avec épouvante… Il en louche… Il a vraiment plus rien du tout !. il voudrait vomir ses deux yeux… Il fait un effort pour ça. Il s'arc-boute à la mâture. Il essaye qu'ils lui sortent des trous. "

" Mort à Crédit " et Louis Ferdinand, c'est du tout grand art !. Lire ce livre est comparable au fait de se déniaiser l' esprit. C' est un livre dont on ne sort pas indemne..... Tous les romantiques et idéalistes peuvent aller se rhabiller.... Mais, c' est sans compter sur le génie de Céline qui est le rire. Car, même dans sa première partie très déséspérée dans le tableau qu' elle brosse, il y a un comique inégalé. Céline sait faire rire, même des situations les plus glauques.... Il arrivera à nous faire rire sur une scène de Viol !! Voyez le niveau....

Personnellement, je trouve qu'il est fou d'imaginer qu'on puisse voir autre chose qu'une sensibilité infinie chez cet auteur décrié, une sensibilité exacerbée, déguisée sous les invectives, l'argot fou, les invectives et les incroyables trouvailles néologistiques (je m'enflamme).

Quoi de plus triste que ce Mort à Crédit triste et beau à pleurer, à crever ! Quoi de plus fort et de plus renversant que le style de Louis Ferdinand pour percer les âmes, les travers de chacun, les horreurs tapies dans les tréfonds de nos âmes sales ?

Quelle réussite que d'avoir tout sacrifié pour évacuer définitivement tout le pathos, tout le sentimental, tout l'inutile au fond, que Céline déclare ignorer et éviter par pudeur !

Grand chef d'œuvre, un peu dur d'accès, mais qui s'ouvre plus facilement après quelques dizaines de pages, livre qui change celui qui le lit, comme Le Voyage... livre d'un homme qui a stylisé à l'extrême son chagrin, ses souffrances, sans nous laisser jamais la possibilité de s'apitoyer sur lui, qui se montre sous le jour le plus dégueulasse possible, qui se rend insignifiant et vide, car l'important c'est ce monde qu'il voit et décrit avec sa langue, et qui rend son époque comme aucun autre ouvrage. Je divague un peu mais c'est peu évident de parler de ce livre que je classe même au-dessus du Voyage au bout de la nuit. Chef d'œuvre du XXème siècle français ? moi je valide ! C' est une véritable claque dans la gueule que l' on reçoit en le lisant..... Si derrière un auteur et son œuvre, on trouvera toujours une blessure, car les gens heureux et ceux qui ont réussi n’écrivent pas... ou bien, des imbécilités sans nom et sans lendemain…. En témoigne notre siècle vide de toute oeuvre de ce genre, n' assumant plus un pessimisme naturel chez l' homme qui voit la société telle qu' elle est, et non telle qu' on voudrait nous la faire croire.... Son travail d’écrivain va s’orienter dans une voie beaucoup plus intimiste car, cette fois, il choisit d’exposer le sombre tableau familial, son enfance, ses relations parentales . Et la plume, patiemment, tranche dans le vif du sujet, comme une machette taille dans un corps.....

C' est un auteur que j' adore et admire plus que tout car il vu le monde comme personne, en asséchant l' hypersensibilité de Voyage au bout de la nuit.... Et que dire du style ? Les point de suspension qui arrête la phrase en plein vol pour mieux suggérer, laisser poindre l' émotion chez le lecteur, ne plus lui mâcher le travail..... Céline a écrit la vision halluciné du monde qu' il avait. Il sublime le monde qu' il voit. Adieu Zola et ses longues descriptions, quelques peu pesantes.... C' est au lecteur d' être actif, en témoigne le début du livre : Lisez un peu....

" Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.

Hier à huit heures Madame Bérange, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : "Ne vous allongez pas, surtout !… Restez assise dans votre lit !" Je me méfiais. Et puis voilà… Et puis tant pis. ". Si ça, c' est pas du génie. Aucune fioritures. Juste la bonne mesure. On met de l' émotioin mais pas du sentimentalisme....

Ou déssilusion sur la solitude du narrateur, plus loin dans le livre.....

" Ah! c'est bien terrible quand même...on a beau être jeune quand on s'aperçoit pour le premier coup...comme on perd des gens sur la route...des potes qu'on reverra plus...plus jamais...qu'ils ont disparu comme des songes...que c'est terminé...évanoui...qu'on s'en ira soi-même se perdre aussi...un jour très loin encore...mais forcément...dans tout l'atroce torrent des choses, des gens...des jours...des formes qui passent...qui s'arrêtent jamais...Tous les connards, les pilons, tous les curieux, toute la frimande qui déambule sous les arcades, avec leurs lorgnons, leurs riflards et les petits clebs à la corde...Tout ça, on les reverra plus...Ils passent déjà...Ils sont en rêve avec des autres...ils sont en cheville...ils vont finir...c'est triste vraiment...c'est infâme ! ".

Forcé à écrire donc, comme il le fut à parler toute sa vie, sans qu’on l’écoute d’ailleurs, il est acculé à l’écriture comme à la culpabilité. Mort à crédit pourrait d’ailleurs être un récit de la culpabilité, forcément liée à ce point extrême de ressenti, à la paranoïa. Ferdinand, pour faire cesser les coups, physiques et psychiques qu’il reçoit continuellement de ses parents, est en effet prêt à demander pardon pour tout, et pour n’importe quoi, même pour des fautes qu’il n’a pas commises. De toutes façons, il a commencé par payer sa dette, avant même d’accomplir ses fautes. Il a commencé par être coupable avant que d' être un criminel. " Je demandai pardon à propos de n’importe quoi, j’ai demandé pardon pour tout. Comme si le repentir pouvait garantir de la souffrance. Demander pardon à quelqu’un, à tout le monde…" , " Mon père en revenant du bureau, il ressassait les solutions… Des biens sinistres… Il faisait lui-même notre parade (…). Il parlait déjà qu’on se suicide avec un fourneau grand ouvert. Ma mère réagissait même plus… Il remettait ça aux « Francs-maçons »… Contre Dreyfus !… Et tous les autres criminels qui s’acharnaient sur notre Destin ! (…) Il se déchargeait la conscience. (…) Il se débattait toute la soirée, parmi des mirages atroces… Il tenait de quoi, dans le cassis, meubler vingt asiles… " ( l' humour noir y est présent ici. )

Reste la fuite, le voyage, de départ, pour ne plus les entendre parler. Reste le refuge dans une forme d’autisme, seule riposte possible à la violence du langage et aux coups portés à l’être intime. Mais déjà il est sans doute trop tard. Le petit Ferdinand est cassé, brisé par les pulsions de morts de ceux censés lui donner la vie et le protéger. Déjà, il n’a plus qu’un remède, se barricader chez lui, en lui, et fermer toutes les voies d’entrée possible à l’Autre. Déjà, dit-il, " L’essentiel, ce n’est plus de savoir si on a tort ou raison. Ca n’a vraiment pas d’importance… Ce qu’il faut c’est décourager le monde qu’il s’occupe de vous… ".

Impossible de remédier à l’image de fils indigne des sacrifices faits pour lui, de monstre d’égoïsme, de cause ultime de souffrance et de terreur, Ferdinand fuit le Passage, fuit le couple parental, en tentant dans un ultime effort de survie et de défense de tuer son père, de lui ôter le souffle et ainsi la parole, de faire taire cette voix d’aliéné qui hante son esprit, y broyant tout sur son passage…

" Ah ! merde ! y en avait que pour eux des détresses, des marasmes, des épreuves horribles. Les miens, ils existaient pas en comparaison ! (…) J’aurais bien demandé pardon, pour toutes mes fautes, mes caprices (…). Si y avait que ça pour la remettre !… Si c’était seulement la cause qu’elle se refoutait à gémir ! Si c’était seulement la raison qui lui fendait le cœur !… Je lui aurais bien demandé pardon ! (…) J’aurais bien, pour en finir, avoué que j’avais une veine inouïe ! Une chance pas croyable ! Que j’étais un gâté terrible !… Que je passais mon temps à me marrer !… Bon ! J’aurais dit n’importe quoi pour qu’on en termine… "

Le livre se termine sur cette constatation traumatique : " Toujours je ferai de la peine à tout le monde ! C’était ma terrible évidence !… "

Mais il faut, également, lire les pages hilarantes sur Courtial des Perreires, un inventeur râté et coupé du monde. c' est à se pisser dessus. Et le génie de Céline est d' avoir, à l' instar de Rabelais, donné ses lettres de noblesse à la langue dans son intégralité : argotique autant que soutenue..... Comme le dit un critique, " Céline à décorseté la langue. c' est un feu d' artifice langagier. Le verbe fait l' amour dans la tête du lecteur, il s' y insinue. ". C' est assez dur de parler de Céline sans ennuyer le lecteur. C' est une expérience à vivre. Pardon ! A lire !

Sur ce, portez vous bien. Bonne lecture !!
ClementLeroy
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Livres et Top 10 livres de Louis-Ferdinand Céline

Créée

le 23 janv. 2015

Critique lue 2.4K fois

11 j'aime

6 commentaires

San  Bardamu

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

11
6

D'autres avis sur Mort à crédit

Mort à crédit
Chaiev
7

Tu m'as donné ta boue, et j'en ai fait de l'or

Allez, le gros morceau : essayer d'expliquer vaguement pourquoi on peut en toute objectivité trouver un livre bien, mais ne pas l'aimer pour autant. Ou l'inverse. Quand Celine balance au monde décati...

le 10 oct. 2011

68 j'aime

46

Mort à crédit
-IgoR-
9

Concerto pour détraqués

Alors que le silence se fait sur le monde et sur la vie de l’homme, il n’est que temps d’un regard en arrière. Une lointaine projection aux origines du drame, quand tout allait – déjà – si mal. Et de...

le 7 déc. 2014

52 j'aime

22

Mort à crédit
-Valmont-
9

Se prémunir contre l’enfer des rageux

Le médecin nous place d’emblée dans son univers horizontal, pandémoniaque, au seuil d’un dixième cercle dantesque, à moins que ce ne soit aux portes des Limbes. Jeunesse : dans une cage à lapin à...

le 23 mai 2018

43 j'aime

14

Du même critique

Les Essais
ClementLeroy
9

Un grand auteur, un grand humaniste, un grand penseur

Bonjour à tous, Aujourd' hui, je m' attaque à un auteur, malgré sa renommée, restant , en grande partie, méconnu de tous, excepté de quelques universitaires et snobinards prétentieux de mon...

le 16 févr. 2015

28 j'aime

5

Journal d'un curé de campagne
ClementLeroy
10

L' insupportable vérité du Christianisme.... L' Enfer, c' est de ne plus aimer....

Bonjour à tous, Me voilà aujourd'hui avec ce roman célébrissime de Bernanos. Donc, pourquoi une critique de plus sur un livre trop connu, et très plébiscité, me direz-vous. Et bien, je trouve ce...

le 9 déc. 2016

24 j'aime

1

Illusions perdues
ClementLeroy
9

Pas un chef-d'œuvre, LE chef-d'œuvre de Balzac !!

Bonjour à tous, Plus d'une fois, je m'étais promis de lire "Illusions perdues" et "splendeurs et misère des courtisanes". De report en report, j'ai fini par trouver le temps et la patience...

le 16 févr. 2015

20 j'aime

3