Mrs. Dalloway
7.3
Mrs. Dalloway

livre de Virginia Woolf (1925)

Mrs Dalloway revisitée par Michael Cuningham : a pity...

Mon intention, en rédigeant ces quelques notes, n'est pas de faire le dithyrambe de cette œuvre considérée à juste titre comme le meilleur roman de Virginia Woolf. Comme chacun sait il relate une journée de la vie de Clarissa Dalloway qui prépare une soirée chez elle, à commencer par son exultation au moment de sortir acheter une brassée de fleurs.


" What a thrill, what a shock, to be alive on a morning in June, prosperous, almost scandalously privileged, with a simple errand to run ".


Cette phrase dont on appréciera la légèreté, n'est pas une citation de “Mrs Dalloway”, mais de "The Hours ", roman de Michael Cunningham qui obtint le prix Pulitzer en 1999 et qui fut interprété à l'écran de façon magistrale par Stephen Daldry.


Mon intention est de démontrer « l'exploitation » d'un nom prestigieux (qui a valu à Cunningham une renommée internationale), et ceci malgré le talent que je lui reconnais et dont j'ai donné un exemple ci-dessus.


Au départ rien de choquant (si ce n'est le titre « The Hours » qui était le premier titre auquel V.Woolf avait pensé donner à son roman, à mon avis un emprunt majeur), dans ce récit qui relate la vie de trois femmes de différentes générations : Virginia Woolf qui lutte contre les atteintes d'une maladie mentale, Mrs Brown, épouse d'un vétéran de la seconde guerre mondiale, peu satisfaite de son existence, qui s'enthousiasme pour « Mrs Dalloway » qu'elle lit alors qu'elle «prépare » en 1949 une soirée d'anniversaire pour son mari, et enfin Clarissa Vaughan, bisexuelle des années 2000, qui sort pour acheter des fleurs en vue de la soirée qu'elle donne le soir même pour fêter le prix qui sera remis au poète qu'elle regrette de ne pas avoir épousé, de même que Mrs Dalloway regrette de ne pas avoir épouser son soupirant, Peter Walsh. A ce propos je veux bien d'ailleurs qu'on m'explique pourquoi l'ancien amant de Clarissa Vaughan porte le même prénom que l'époux de Clarissa Dalloway, Richard, personnage de « représentation »s'il en est (Inversion ironique ?).


Tout ceci est très intéressant et fonctionne à merveille, tant du point de vue du « miroir » de l'intrigue (fondée, à l'instar de "Mrs Dalloway" sur une journée de la vie de chaque femme), que de la technique narrative, le fameux « stream of consciousness » ou « monologue intérieur » qui vit le jour avant V.Woolf et James Joyce, mais dont ceux-ci appliquèrent largement la formule sous le nom donné en 1890 par le philosophe William James. Cette technique littéraire décrit les pensées et les sentiments qui traversent l'esprit d'un personnage. Elle se caractérise par des sauts associatifs entre le présent et le passé, et leur interaction. C'est un processus entièrement subjectif.


On peut faire remonter le « monologue intérieur à « Tristan Shandy » de Laurence Sterne (1757), suivi d'Edgar Poe (The tell-tale heart 1843), Edouard Dujardin « Les lauriers sont coupés » (1887), dont l'influence a été reconnue par J.Joyce et V.Woolf. Ont également utilisé cette technique,Tchekov (nouvelles), Knut Hamsun (La Faim 1890), Henry James (Portrait de femme 1881), Proust ( La recherche du temps perdu) et TS Eliot « The waste land ». Ensuite quatre romans marquent les années 20, « Ulysse » de Joyce (1922), « La conscience de Zeno » d'Italo Svevo (1923), Mrs Dalloway de V.Woolf (1925), et « Le Bruit et la Fureur » (1929) de W.Faulkner.


De toute évidence Michael Cunningham maîtrise parfaitement le monologue intérieur et je n'ai d'autre reproche à lui adressé que d'avoir fait un « plagia » réussi. Je dis plagia en ce sens que V.Woolf, eût-elle vécu pour voir ça, n'aurait peut-être pas apprécié ce « remake » de son œuvre maîtresse, publié je le répète sous son premier titre « The Hours », elle qui craignait tant que la qualité de son livre ne fût suffisante qu'elle le réécrivit plusieurs fois.


Une réussite stylistique ne suffit pas, ni même une intrigue bien construite. Ce que je trouve beaucoup plus grave, c'est une modification complète de l'élément le plus important peut-être de "Mrs Dalloway" , et je dirais même un « travestissement » par rapport à ce qui caractérise V.Woolf, à savoir la subtilité. Et là je pousse de hauts cris.


En effet, parallèlement à la journée de Clarissa, nous suivons celle de Septimus Warren Smith, un jeune poète schizophrène que Mrs Dalloway croise dans Hyde Park, alors que l'un et l'autre sont perdus dans leur monologue intérieur. Elle ne le connaît pas et ne le connaîtra jamais. Septimus Warren Smith (quel choix de nom magnifique) se défenestre , et le soir même son médecin, invité à la soirée de Clarissa, commente l'évènement qui bouleverse celle-ci.


Nous avons ici un exemple parfait de ce qui rend V.Woolf inimitable, n'en déplaise à Michael Cunningham. Dans « The Hours », le poète ex-amant de Clarissa Vaughan se défenestre également, mais cette fois « sous les yeux » de cette dernière. Que l'on me permette de trouver douteuse cette caricature, voire vulgaire et « accrocheuse ». Je vous pose la question en toute candeur : Virginia Woolf ne serait-elle pas atterrée de voir ce qu'on a fait de Septimus Warren Smith ?


« The Hours » (le roman, car je comprends que le film ait pu subjuguer les spectateurs) n'est ni une préquelle, ou antépisode, ni la suite d'une autre œuvre.


Comme préquelle, ou histoire qui précède une œuvre antérieurement créée, je choisirai le magnifique roman de Jean Rhys, « La Prisonnière des Sargasses » publié en 1996. Il se déroule à la Jamaïque peu après l'abolition de l'esclavage qui ruina les propriétaires terriens, et relate la jeunesse, les premiers signes de maladie mentale et la vie de recluse de Bertha Mason, première épouse de Mr Rochester. Le nom de celui-ci n'est pas prononcé dans le roman de J.Rhys, ce qui me paraît juste étant donnée l'originalité complète de cette œuvre.


Le roman de Björn Larsson « Long John Silver » décrit les évènements de la vie de ce pirate célèbre pour sa jambe de bois et son perroquet, à la "suite" de « L'île au Trésor ». L'auteur ne cherche pas à refaire l'histoire de Stevenson (de mémoire, il en parle très peu). Il s'intéresse seulement à la complexité du personnage qui est le seul « emprunt » à ce prestigieux auteur. Il n'y a ni modification, ni "vol", mais extension. J'ajouterai que c'est un roman sans prétention, ce qui n'est pas le cas « The Hours ».


Nombreuses sont les personnes qui ont vu « The Hours » de Stephen Daldry sans avoir lu « Mrs Dalloway » et je comprends leur engouement pour ce film. Mais je n'ai encore convaincu personne de la différence qualitative essentielle entre ce roman et celui de Cunningham.


J'espère avoir plus de chance aujourd'hui...

Benedicte_Leconte
10

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Créée

le 22 nov. 2015

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