
Comme beaucoup de gens certainement, je connais Michel Onfray par ses nombreuses interventions médiatiques sans pour autant l'avoir jamais lu. En ce sens, ma connaissance du "philosophe préféré des Français" est tout à fait relative, en tout cas tout autant que le titre qu'on lui arroge souvent puisque le plus lu ne fait pas nécessairement le plus aimé. Dans le cas contraire cela signifierait que Marc Levy, Guillaume Musso ou Amélie Nothomb seraient alors les romanciers préférés des Français. Je veux bien qu'on soit cons, mais y'a des limites... Donc est-il le "philosophe préféré des Français" ? On n'en sait rien et si je donne comme ça l'impression de lui être hostile, même si je ne suis pas d'accord avec tout ce qu'il dit, entre BHL/Attali/... et lui, mon choix est vite fait.
De plus, de la Guyane je ne connais pas grand chose non plus si ce n'est que ce n'est pas une île (on ne peut pas lorgner sur la prof de français et écouter celui de géo, dans la vie faut faire des choix...), qu'on y lance des fusées, que c'est un des nombreux territoires délaissés par la République et quelques autres trucs que m'a raconté un ancien camarade de promotion originaire de cette région.
En somme, en ouvrant Nager avec les piranhas j'espérais à la fois en apprendre plus sur un intellectuel et sur un territoire.
Ainsi, avec cet ouvrage et un autre publié simultanément sur les îles Marquises, Onfray s'essaie à la discipline anthropologique (que j'étudie moi-même un peu dans le cadre d'un cours d'anthropologie économique, c'est ce qui au final m'a fait acheter ce livre d'ailleurs) et commence directement par un propos polémique :
Ce que l'on trouve dans un voyage est toujours ce que l'on y met. Les ethnologues n'échappent pas à cette règle bien qu'ils recouvrent leur subjectivité avec un mille-feuille théorique. Dans les Dogons de Griaule, il y a plus de Griaule que de Dogons, de même qu'il y a plus de Lévi-Strauss dans ses Nambikwaras que de Nambikwaras ou plus de Clastres dans ses Guyakis que de Guyakis. Un Blanc qui vit dans une tribu peut bien se faire initier, changer de nom, porter le costume de la tribu, se plier aux us et coutumes de sa nouvelle communauté, il reste blanc - un nègre blanc, certes, mais un Blanc quand même... Une âme ne s'échange pas, une âme ne se pénètre pas, une âme ne se comprend pas. Dans l'idéal, il faudrait se contenter de vivre en compagnie de cette âme et taire ce que l'on croit savoir. Mais l'idéal n'est pas de ce monde.
Par ces considération, Onfray se rapproche du courant interprétatif fondé par Clifford Geertz qui a dénoncé l'approche dominante. Pour résumer, dans ses travaux il développe l'idée que l'anthropologue est un écrivain et que ses productions sont des "interprétations d'interprétations" élaborées à partir de ceux qu'il étudie.
En outre, ce dont l'auteur traite essentiellement ici c'est l'occidentalisation rampante qui putréfie par ses névroses les sociétés premières. Par ce récit il ne cherche donc pas à retranscrire ce qu'il aurait compris de l'esprit Wayanas mais dresse la chronique d'un peuple qui perd toute dignité dans sa soumission au soit-disant (et pourtant bien portant) "devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures" (heureusement que j'ai eu un manuel d'histoire qui traitait des grandes heures des valeurs de la République et de leur brillant représentant qu'était Jules Ferry...).
Forcément, chaque page transpire les thèses de Michel Onfray. C'est une analyse dont la grille de lecture est claire. On peut ne pas y adhérer mais au moins il ne nous prend pas en traitre. Ce propos est si limpide (et connu pour qui écoute et lit ses interviews) que j'estime tout à fait inutile de l'analyser ici. Si ça vous intéresse, il suffit de lire ce très court essai. Je ne vais pas non plus détailler ce qu'il y développe. Je ne fais pas de fiche de lecture, d'abord parce que je n'en ai pas l'envie et ensuite surtout parce que ça ne sert à rien.