Hermann Hesse publia ses romans les plus connus (Le loup des steppe, Siddhartha, Narcisse et Goldmund) dans les années 1920/30 mais connut un authentique succès mondial dès 1960, lorsque les tenants de la contre-culture s’emparèrent de sa prose. Comme dans Siddharta, Hesse demande si l’ataraxie peut se trouver en empruntant aux doctrines philosophiques ou non : à une époque moyenâgeuse indéterminée, le jeune Narcisse, futur ecclésiaste d’élite, brillant enseignant, dissuade un plus jeune novice encore, Goldmund, de persister dans la vie monacale. Narcisse est un pur intellectuel, expert d’Aristote et de Saint Thomas d'Aquin, devant lequel se pâme un Goldmund en quête de sens à sa vie : les deux amis finissent par se quitter, chacun suivra sa voie, l’un empruntera celle de la scolastique, l’autre celle de la vie errante. Et que le meilleur gagne.


Le style de Hesse n’est pas exceptionnel loin s’en faut, mais les ponts habilement érigés vers des fragments de la philosophie rousseauiste donnent à cette lecture une certaine saveur (premier point intéressant du bouquin) : le goût pour la déambulation terrestre et la marche comme moyen d’adoucir l’aliénation. « Errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans domicile sans guerre et sans liaisons, sans nul besoin de ses semblables comme sans nul désir de leur nuire » (Discours sur l’inégalité) : privé de grâce, l’homme tombe non pas dans l’état de nature mais dans la civilisation et marcher devient l’emblème de la vie vraie, simple.


Rousseau se voulait le représentant du marcheur idéal. Il quitte Genève, abandonne sa religion et son métier : c’est en tous points la trajectoire empruntée par Goldmund. D’autre part l’instruction a pour effet de débiliter l’individu (Discours sur les sciences et les arts) : cette trajectoire sera précisément celle de Narcisse, ainsi Hesse conteste-t-il la radicalité rousseauiste, sans le démontrer mais en laissant le doute planer, car il n’y a ni vainqueur ni morale chez l’auteur (second point intéressant du roman, ce n’est pas un horrible machin à thèses).


Vie apollinienne ou dionysiaque, vie monacale ou errante, vie de bureau ou artisanale au sens noble du terme... la partition n’est pas originale mais restera à jamais profondément humaine (ne taraude-t-elle pas beaucoup d’entre nous ?) et Hesse s’en sort bien par un traitement habile dans lequel les antagonistes ne le sont jamais complètement, les oscillations permanentes, les certitudes fuyantes comme du sable entre les doigts, et ainsi la désespérance totale - forcément. Réaliste :(

-Valmont-
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le 13 août 2020

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