J'ai adoré cette fiction de Delphine de Vigan où Lou, jeune fille de 13 ans timide et complexée, se prend d'amitié pour une SDF de 18 ans, et s'efforce de la "sortir" de la rue .
Beaucoup ici lui reprochent un côté roman pour ados... tout en avouant avoir été conquis. Généralement jeunes eux-mêmes, craindraient-ils en montrant trop d'enthousiasme que leur commentaire puisse être jugé avec condescendance ?
Car, si on les suit bien, il faudrait considérer comme sous-littérature ce roman parce qu'il traite de l'Enfance ? Médiocres, les Misérables de Victor Hugo ? Facile, le Jacquou le croquant d'Eugène Leroy ? Accrocheurs, Charles Dickens, Mark Twain, Jules Vallès, Jules Renard ( Poil de Carotte), la trilogie de Pagnol, Anne Franck, Hervé Bazin ( Vipère au poing ), Camus ( Le premier homme ), S.de Beauvoir ( Mémoires d'une jeune fille rangée ), M. Duras ( l'amant, Goncourt 1984 ), Nathalie Sarraute ( Enfance ), Catherine Pancol (J’étais là avant )... et tant d'autres ! ?
Ou bien voudrait-on ranger ce texte dans la littérature de gare, qui évite en général si soigneusement de traiter de questions épineuses ou d'actualité ? Ce qui n'est vraiment pas le cas ici.
Pas question d'y "faire pleurer Margot" sur les déboires de No(lwen). Ses conditions de vie sont décrites sans fioritures, bien qu'avec beaucoup de pudeur.
Quant aux amateurs d'histoires d'amour, ils vont être sacrément déçus : les premiers émois de Lou ne sont vraiment pas le sujet principal de ce roman.
Ce serait enfin une grosse erreur de le confiner dans la Littérature jeunesse car n'y est pas question de faire oeuvre d'éducation, ni de bêtifier, ni de caricaturer. Reproche trouvé dans une critique qui m'a fait bondir.
Je suis d'ailleurs persuadé que bien peu de ( vraiment ) jeunes lecteurs dépasseraient les premières pages, car le personnage de Lou sera pour eux forcément d'emblée irritant : c'est une "intello" qui a deux ans d'avance ( elle est en seconde ), qui truste les meilleures notes à l'écrit et se trompe rarement dans ses réponses à l'oral. Par contre elle est "petite" et n'a pas encore de poitrine... et n'est pas foutue de faire un lacet. Elle est donc forcément hors normes ( surdouée ? différente ?... ) par rapport à ses camarades. Et puis elle est d'une émotivité maladive, et panique à l’idée de faire un exposé devant la classe... ou d’être invitée à l'anniversaire de ses camarades. Alors elle se récite des inventaires ou résout mentalement des problèmes de maths pour dompter son imagination.
L'auteur aurait-elle dû faire preuve d'originalité stylistique pour mériter de figurer dans la catégorie "adulte" ? La langue de D. de Vigan n'est-elle pas assez riche, précise, alerte .... tout en restant accessible ? *
Si Lou, la narratrice, s'exprime avec des idiomes et des références souvent conformes aux ados de son époque et de son milieu, si l'oralité tient une grande place dans ce récit émaillé de réflexions et de tournures naïves qui trahissent son âge réel, sa qualité de surdouée écorchée vive qui n'arrête pas de gamberger lui permet de faire preuve d'une curiosité et d'une maturité hors normes.*
Pour moi, ce roman parle d'abord d'engagement : il aidera peut être ses lecteurs à prendre conscience des conditions de vie des gens ( surtout des jeunes filles ) qui vivent dans la rue, mais aussi de leurs propres sentiments de culpabilité : Ce que Lou réussit à faire, avec l'aide de Lucas, pourquoi est-on incapable d'en faire autant ? Pourquoi penser que c'est forcément impossible ? Certes la tentative de sauvetage échoue... Mais si finalement la normalité reprend ses droits et qu'on cède au découragement, on peut toujours espérer qu'une petite voix nous incite à ne pas renoncer.
Il aborde aussi des sujets dont on ne parle pas souvent dans les livres, comme ces "malheurs" qui frappent les familles ( surtout les femmes ), dont les répercussions ne sont pas toujours perceptibles : ici le sentiment d'abandon que développent ces enfants qui ( pensent qu'ils ) ne reçoivent pas de leurs parents toute l'affection qu'ils réclament. C'est d'ailleurs cette fêlure intime qui rapproche nos trois "héros".
Jusqu'à ce que l'irruption de No( future ? ) dans leur vie permette ( par contraste ? ) à Lucas, à Lou et à sa mère de sortir de cette situation insupportable.
Bref, c'est donc dans une démarche volontairement antithétique que je l'ai surnoté
- Je viens de découvrir la soixantaine de pages d'analyse de Patrice Ruellan, docteur es Lettres enseignant au département "Métiers du livre" à l'IUT d'Aix en Provence, qui confirment mon point de vue : http://fr.calameo.com/read/00004837841369283b5b3