Un roman de jeunesse, où Jane Austen se fait les griffes... On y retrouve déjà sa petite musique : son ironie qui épingle les travers des uns et des autres (on se moque des hypocrites qui affichent des mobiles bien différents de ceux qui les animent en réalité, et des naïfs qui ne remettent pas ses fallacieux mobiles en question...). Si c'est ce que recherche le lecteur, alors il aura droit à un Jane Austen dans la plus pure tradition. Cependant, la où le roman est un peu bancal, disons là où il est encore imparfait, en comparaison de la pièce maîtresse de Jane Austen, Orgueil et Préjugés, c'est que contrairement à ce dernier, la trame romanesque y est encore lâche. Où qu'on ouvre Orgueil et préjugés, on se trouve confronté à une page qui appartient viscéralement à un tout ; dans Orgueil et Préjugés, plus rien n'est laissé au hasard, il n'y a plus le moindre résidu qui ne serait pas entièrement au service de l'intrigue. C'est pour ça que c'est un tel tour de force, et c'est pour ça qu'il est une lecture aussi marquante. Tout y est au service de l'intrigue : le caractère de Me Benett comme celui de M. Collins, les agissements de Whickam ou de Lady Catherine ; si leurs vices sont épinglés et moqués, ils n'en sont pas moins des ressorts indispensables de l'intrigue. On y est pas encore avec Northanger Abbaye, où la satire est souvent gratuite. Par exemple, tout le thème de la fascination romanesque de Catherine pour l'univers du roman gothique ne fait en rien avancer la trame du roman, il est un à-côté auquel Jane Austen tient, mais auquel le lecteur a dû mal à adhérer, justement parce qu'il sent qu'il pourrait passer ses pages sans rien perdre de l'intrigue. Or, les romans de Jane Austen aspirent à être des romans d'intrigue : l'ironie de l'auteur y est certes jubilatoire, mais ce qui pousse à tourner les pages, c'est bien l'enchantement romanesque le plus élémentaire : un tel va-t-il épouser une telle ? Ici, on n'est pas franchement intéressé de savoir si Henri épousera Catherine. Dans Orgueil et préjugés, les 3 mariages sont entremêlés : on a le sentiment que le mariage d'Elisabeth ne sera possible que si se dénouent préalablement les situations de Jane et Kitty ; et c'est pourquoi on s'intéresse si passionnément à ses deux dernières. Ici, que nous importe, si ce n'est qu'il est agréable de voir moucher une hypocrite comme Isabelle, son mariage avec James ? On a parfois réellement l'impression de se trouver en présence d'un brouillon de Orgueil et préjugés. Le général y joue exactement le rôle que jouera plus tard Wickham : un personnage sur lequel on commence par se tromper totalement, mais dont les mauvaises actions vont rendre possible le mariage, en obligeant le héros, Darcy ou Tilney, à se poser en contre, et à se révéler. Quant aux caractères, Catherine est tout de même moins attachante qu’Élisabeth, parce qu'elle est trop bébête et naïve. Et Henri a beau être clairvoyant, il manque encore plus de charisme que Darcy, et semble encore plus compassé et pédant que lui. Mais pour ça, c'est aussi que Jane Austen n'arrive pas à faire un personnage masculin qui soit à la fois positif et vraiment séduisant...