«Il était une fois une époque parfaite, où l’on pourrait concilier de sains délices avec des engouements responsables.»

Le deuxième roman de Solange Bied-Charreton, paru début 2014 chez Stock après "Enjoy", est une satire particulièrement réussie de la société contemporaine et de ses nouveaux Narcisses, autour d’un couple de parisiens trentenaires aisés, Noémie, enseignante de français dans un collège de banlieue, débordante de bons sentiments, et Ivan, modèle pour la publicité que les agences s’arrachent pour vanter les mérites des yaourts, des perceuses ou du papier toilette.

«Il se donnait du mal pour être ce type-là, un monsieur Tout-le-Monde extraordinaire, tout à la fois supérieur et respectueux de la médiocrité, le gendre idéal.»

Ivan et Noémie voient leur vie basculer après un accident, la chute d’un échafaudage pendant le tournage d’une publicité qui va plonger Ivan dans un coma prolongé, puis dans l’inactivité et le désœuvrement. Leurs certitudes s’effritent ; assaillis par le vide, l’absence de sens de leurs activités, de leur vie sociale, de leur cadre de vie, d'un Paris transformé en musée et en centre commercial, où le passé est omniprésent mais n’a plus aucun sens, leur crève soudain les yeux.
Leurs rêves d’aventure et leur quête de sens vont alors les conduire hors de leur cadre habituel. Rompant les amarres, ils tâtonnent vers un retour aux sources, tels des enfants naïfs en pleine confusion. Cette quête de spiritualité et de nature va les conduire très loin, rappelant, avec moins de noirceur et de brutalité, la voix d’un Hugues Jallon.

«Or si tout le monde se ressemble, à quoi bon voyager ? La Terre était périmée. Partout les mêmes immeubles, les mêmes centres commerciaux. Les mêmes murailles en ruine. Partout Italie 2 et pourtant de vieilles ruines, qu’on appelait et qu’on photographiait. Le même vœu d’en découdre avec l’ennui, la soif de découverte, la recherche de tout autre chose.»

Le portrait talentueux de ces "bobos" qui dénoncent tout mais ne s’engagent dans rien, accros à la consommation autant qu’aux idéaux, ouverts et souriants, croyant être authentiques, toujours prêts à défendre la diversité du monde mais mélangeant tout et n’agissant jamais, est une version romancée tout à fait délectable du comportement de ces nouvelles élites parfaitement décrites par Christopher Lasch.

«Le "multiculturalisme" leur convient parfaitement, car il évoque pour eux l’image agréable d’un bazar universel, où l’on peut jouir de façon indiscriminée de l’exotisme des cuisines, des styles vestimentaires, des musiques et des coutumes tribales du monde entier, le tout sans formalités inutiles et sans qu’il soit besoin de s’engager sérieusement dans telle ou telle voie.» (Christopher Lasch, La révolte des élites)
MarianneL
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le 9 mai 2014

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MarianneL

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