La dernière fois que j’ai vu Novecento, il était sur un bateau dont il
n’est jamais descendu.



Méconnu de ce côté-ci des Alpes, Alessandro Baricco est l'auteur de plusieurs romans et pièces qui lui ont valu une certaine notoriété dans le milieu littéraire italien. Souvent repris au théâtre (André Dussolier a d'ailleurs encore récemment adapté le texte de Baricco), Novecento pianiste reste à ce jour son oeuvre la plus connue, et a d'ailleurs donné lieu à une adaptation cinématographique en 1998 avec Tim Roth dans le rôle principal.


Troisième oeuvre publiée de l'auteur, écrite pour "être lue à voix haute", Novecento pianiste suit le récit de Tim Tooney, modeste trompettiste ayant oeuvré durant quelques années en tant que musicien d'équipage sur le Virginian, un transatlantique du début du 20ème siècle. Tout au long de son monologue, Tooney raconte sa rencontre et son amitié avec le pianiste de l'équipage, un dénommé Novecento (900 en italien). Abandonné à sa naissance en 1900 sur ce même paquebot, ce dernier fut recueilli par l'équipage d'alors et élevé par un des marins. Il grandit ainsi entre l’Europe et l’Amérique sans jamais mettre le pied à terre. Très tôt, Novecento appris à jouer du piano et devint un véritable virtuose, excellant autant dans le classique, le jazz et le ragtime. La beauté sans commune mesure de sa musique fit très vite parler de lui par-delà l'Atlantique et sa réputation de plus grand pianiste du monde arriva bientôt aux oreilles de Jelly Roll Morton, un pianiste de génie imbu de lui-même et s'auto-proclamant inventeur du jazz. Très vite, ce dernier décida d'embarquer sur le Virginian pour s'y livrer au cours de la traversée à un véritable duel musical avec Novecento.


Ponctué de chants et de numéros musicaux, Novecento pianiste nous dresse avant tout le portrait fascinant de son personnage éponyme. Sous la plume grâcieuse de Baricco, son protagoniste nous apparaît comme un homme pétri de contradictions qui n'a jamais réellement pu faire l'apprentissage de la vie, son existence se résumant à arpenter les couloirs et les pièces du paquebot qui l'a vu naître et grandir. Incapable de partir à la découverte du monde, il s'est toujours contenté de voir ce dernier venir à lui, via les foules de migrants qui se sont déversées dans le bateau à chaque traversée. Des foules qui à chaque fois portent en elles leur lot d'histoires venues de la terre ferme et que Novecento se plaît à retranscrire dans des compositions magistrales qui font aussi écho aux tourments de l'océan, son seul univers. Tel un fantôme légendaire hantant l'Atlantique, Novecento n'a aucune existence légale sur la terre ferme, il n'a ni famille, ni ami. Peu importe finalement, car le monde, il le parcoure en long et en large à travers sa musique, envoûtante, irréelle, dictée par les caprices d'un océan qui l'a vu naître et grandir. L'atlantique est son refuge depuis si longtemps qu'il lui est d'ailleurs devenu impossible d'envisager de se perdre un jour parmi les hommes du continent. Il y a bien cette tentative enjouée mais vouée à l'échec dès lors que Novecento appréhende l'immensité du monde qui s'offre à lui. Car vivre sur la terre ferme, confronté à l'infinitude angoissante du monde, et loin du chant réconfortant de l'océan, le condamnerait à se confondre en inspiration, à ne plus savoir quelle note jouer. Sans le moindre jugement, Tim se contente de raconter l'histoire et la destinée de ce pianiste légendaire, définitivement perdu entre les mondes, prisonnier d'un bateau auquel il semble à jamais lié.


A travers le récit poignant de son narrateur, l'auteur en profite pour livrer toute en subtilité une très belle allégorie de la solitude et du repli sur soi, portée par une écriture simple et poétique qui jongle habilement entre humour, lyrisme et angoisse existentielle. Novecento pianiste traite également de résilience et de cette peur qu'inspire parfois le monde, de cette angoisse vis-à-vis du champ des possibles et d'un bonheur trop longtemps souhaité et que l'on finit par se refuser dès lors qu'il est à portée.


A la fois pièce de théâtre, comédie musicale et monologue poétique, Novecento pianiste est aussi et surtout une fable ensorcelante dont le charme et la puissance d'évocation imprègne durablement l'esprit du lecteur. Une petite histoire qui se lit et s'écoute d'une traite et qui comme le dit simplement son auteur "méritait d'être raconté".



Je ne crois pas qu'il y ait un nom pour des textes de ce genre. Peu
importe. L'histoire me paraissait belle, et valoir la peine d'être
racontée. J'aime bien l'idée que quelqu'un la lira.


Buddy_Noone
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le 18 mars 2016

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Buddy_Noone

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