Souvenirs émus de la Fac et premier vrai coup de coeur poétique.

(Critique rédigée quand j'étais à la fac de lettres, en première année, j'avais tellement été émue par cette lecture que j'en avais écrit un pavé! Je partage par nostalgie. )


Après plusieurs semaines de réclusion et de lecture intensive, me voici rédigeant cet article en l'honneur de ce cher Arthur Rimbaud. J'ai été longue dans ce labeur mais il faut dire que la lecture d'un recueil entier en si peu de temps m'a paru totalement indigeste, notamment en ce qui concerne Une Saison en Enfer et les Illuminations. Il y a d'ailleurs dans ces deux sections des poèmes que j'ai totalement laissé tomber par désaffection d'un trop plein d'hermétisme. Je ne suis résolument pas moderne sans doutes, me dis-je après ce constat, parce que les poèmes trop "décousus mystiques" me font davantage penser aux élucubrations des personnes sous drogues que l'on peut rencontrer en soirée qu'à de la "véritable poésie" en tout cas une poésie qui me touche et m'interloque profondément; j'assume cette "anti modernité." ! J'ai donc alterné Rimbaud avec d'autres lectures, telles que Les égarements du coeur et de l'esprit de Crébillon qui m'a amusée sans me marquer, histoire de revenir à des considérations vieillotes et à une écriture raisonnable, relu Jane Eyre pour un devoir universitaire, ce qui n'était pas du tout pénible adorant les romans féminins, et me suis lancée dans le premier tome d'Hypérion, roman de science-fiction de Dan Simmons, roman intelligent, riche mais à mon sens plutôt mal écrit et en ce qui concerne la psychologie des personnages tout à fait superficielle et pour le moment convenue. Soit ! Revenons-en à Arthur. Comme une bonne élève, j'ai entamé ma lecture par la préface de René Char.Sans beaucoup connaître celui-ci, j'ai été très agréablement surprise par ce qu'il disait de la poésie en général bien que ce soit parfois un peu trop ronflant dans sa façon d'écrire. (dans le sens où normalement, la préface d'après moi, sert au lecteur à rentrer dans l'oeuvre du poète, à se tremper l'orteil avant d'entrer dans l'eau, et ici, René Char semble trop avoir envie d'imposer sa propre vision de la poésie et son style. Il se met trop en avant pour parler d'un autre, légitiment cela uniquement par le fait que lui aussi se sent et est poète. Ou c'est un trop plein d'amour aveuglant pour Rimbaud, ou des oeillères de narcissisme littéraire, je me trompe peut être dans les deux cas.)


Néanmoins j'ai particulièrement aimé ce passage :"L'observation et les commentaires d'un poème peuvent être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet un phénomène qui n'a d'autre raison que d'être. La richesse d'un poème si elle doit s'évaluer au nombre des interprétations qu'il suscite, pour les ruiner bientôt, mais en les maintenant dans nos tissus, cette mesure est acceptable. Qu'est-ce qui scintille, parle plus qu'il ne chuchote, se transmet silencieusement, puis file derrière la nuit, ne laissant que le vide de l'amour, la promesse de l'immunité? Cette scintillation très personnelle, cette trépidation, cette hypnose, ces battements innombrables sont autant de versions, celles-là plausibles d'un évènement unique: le présent perpétuel, en forme de roue comme le soleil, et comme le visage humain, avant que la terre et le ciel en le tirant à eux ne l'allongeassent cruellement. " Il y a en effet moi aussi je le sens à mon niveau, une sorte d'essence du poète, une énergie de l'âme qui règne dans tous les poèmes, et le critique à défaut de pouvoir la reproduire et la nommer, ne peut s'intéresser qu'aux éléments qui gravitent autour et la construisent. De même qu'en s'y intéressant, en rajoutant notre point de vue, on déforme les choses. Parcontre ce doit être comme avec les gens en général, l'aura est présente mais impossible de savoir si les autres la perçoivent de la même manière. Par ailleurs, je crois sentir cette âme mais peut être est-ce l'unique produit de ma propre imagination? Dur de se placer et de juger vis à vis l'autre qui écrit de la poésie. Est-ce que le bon critique d'ailleurs est celui qui permet de mieux voir la poésie d'un auteur ou de la concevoir différemment? C'est pour cela que je préfère le mot "exégèse" d'ailleurs à celui de critique pour ce genre littéraire, car surtout pour ce genre de poésie, tout essai de regard, de compréhension se base sur une reconstruction interprétative. On ne peut se fier à l'exégète totalement, il faut le comprendre, l'aborder afin de mieux cerner son point de vue. Les interprétations, les travaux qu'on offre aux poèmes dans tous les cas sont comme des pieds à terre, des grappins qui relient le beau Absolu et abstrait à d'autres sphères d'intelligible compréhension. De fait, il y a aussi des moments où on se dit que cette interprétation n'est pas bonne, elle déforme trop et mal l'objet initial comme un miroir de fête foraine, c'est donc qu'on peut juger aussi ce genre d'écrit. Ici en lisant René Char, j'ai lu du René Char certes mais j'ai quand même vu du Rimbaud. Exemple :"Son poème s'il fascine et provoque le commentateur, le brise aussitôt, quel qu'il soit. (...) Rimbaud a peur de ce qu'il découvre; les pièces qui se jouent dans son théâtre l'effrayent et l'éblouissent". Il y a peut être un fond de vrai en tout cas si on se fixe à ce que dit littéralement la poésie de Rimbaud et les dires de l'ensemble d'un certain lectorat, mais c'est un peu arbitraire de juger le projet d'un autre seulement à partir de ce qu'on croit voir. Admettons cela comme un certain raisonnement, qui sans être peut être tout à fait juste ne peut pas être taxé de faux (et tant mieux!) parce que l'intelligence subjective nécessaire dans l'exégèse de la poésie n'est bénéfique que dans sa diversité. Au fond, nous savons qu'il est en parti pris avec une défense d'une certaine vision de la poésie.


Donc j'ai fini par "tout" lire de Rimbaud. C'est la troisième fois de ma vie, après Les fleurs du Mal et les oeuvres de Saint John Perse que j'achève un recueil entier de poèmes. J'ai envi d'en parler mais j'ai peur de mal dire. Premièrement j'ai peur de dire des choses convenues ennuyeuses, deuxièmement, je ne me sens bavarde que pour parler de mon ressenti au sujet de certains poèmes et finalement, n'ayant que vingt trois ans, je crains d'habiter trop facilement les textes et donc de reproduire l'écrit d'un point de vue si ce n'est pas enfantin, inexpérimenté. La seule chose qui m'encourage, c'est justement l'âge d'Arthur Rimbaud au moment où il a pondu ses poèmes. Je me dis qu'au moins j'ai ce point commun avec lui, ce qui me permettra de "juger"(c'est un gros mot) avec une sorte de connivence générationnelle. D'autant que...de mon point de vue, ce qu'il ressent de sa société moderne peut être applicable à la génération d'aujourd'hui: décadence et progrès, fouillis et incertitudes, aspirations individualistes et temps mauvais, société de plus en plus pauvre, soif d'idéalisme. A ce qu'il parait même, je ne sais plus où j'ai lu ça, ce genre de poésie "baroque" ou "hermétique" nait généralement dans des périodes de changement dans nos sociétés, dans une époque où nous cherchons de nouvelles idoles parce que nous avons le sentiment d'avoir bien vécu sur certaines bases et d'avoir après cela trop longtemps stagné. Pour Arthur Rimbaud, des facteurs tels que l'essor de l'industrie, les débuts de la franche colonisation, les guerres, la fin du romantisme étaient probablement des éléments d'ouverture et de bouleversement, peur du monde. Nous, nous avons les progrès scientifiques ahurissants, la technologie grandissante, l'évolution des moeurs, une dépendance avec le monde entier à la fois fascinante et effrayante. Nous sommes dans un creux, nous savons plus ou moins ce que nous renions, mais sommes "effarés" de ce qui nous arrive.


Impressions sur les premiers écrits : Je ne connais pas les circonstances de cette écriture, où, quand, comment, et j'ai peine à croire que dire : ce sont les écrits d'un jeune adolescent étudiant pétant un plomb (passez-moi l'expression) dans une institution religieuse soit aussi évident, même si ce sont mes propres impressions. De plus, je ne sais pas si c'est parce que j'ai lu cette section en écoutant du Jimmy Hendrix, mais ces premières pages (probablement à l'exception des étrennes pour les orphelins) m'ont fait penser aux carnets de Jim Morrison, Kim Fowley, Bob Dylan (je pense à Tombstone Blues) à cause de la sensation d'exaltation et d'instabilité émanant de la personne qui écrit. Y a à prime abord un côté extrêmement malsain dans ses textes, entre sexualisation et grotesque, extrémisme aussi notamment dès qu'il s'agit de parler des personnes religieuses de l'établissement ou de ses camarades, de ses visions. C'est malsain pour moi, car dans cette sexualisation entre de la violence, de l'animalité, de la perversité. Surtout de la perversité et tellement bien dite qu'on palpe un ressenti réel. Je ne suis pas censeure avide de bienséance, j'admire profondément cette écriture, (très haute en couleur ) mais certaines mises en scènes m'ont fait retrousser le nez en lâchant un « beurk » parce qu'imaginer un vieux religieux trapu, visqueux dans dimension érotique avec un jeune adolescent n'est pas ragoutant. A ce niveau là, le portrait d'Arthur Rimbaud issu d'un film d'Almodovar m'a paru assez vraisemblable dans mon imaginaire. Pourtant, ce n'est pas Sade non plus !


Cet extrémisme dont je parlais n'est pas nécessairement malsain, il est symbole de jeunesse aussi, de sentiment à vif, beauté neuve et primitive et qui m'a fait voir le poète je ne sais pas pourquoi comme un petit animal qui souffre. Les passages où il parle de Thimotine(a) sont touchants, naïfs, parfois maladroits ce qui me fait penser par ailleurs qu'ils sonnent faux dans certains phrasés mais qu'ils révèlent un être très sensible et tiraillé. On dirait qu'il emprunte le dire à d'autres poètes (il cite bien Lamartine ?) pour s'essayer à un nouveau regard, plus pur, plus classique, plus « scolaire » mais sans jamais y réussir tout à fait car à chaque fois sa propre voix vient engloutir ses tentatives. Il tisse sa propre voix autour d'une norme à la mode. Par exemple : « Quand tu te retournas pour frapper de ton pied large ton chat doré, je vis tes omoplates saillant et soulevant ta robe, et je fus percé d'amour, devant le tortillement gracieux des deux arcs prononcés de tes reins. Dès ce moment je t'adorai, j'adorais, non pas tes cheveux, non pas tes omoplates, non pas ton tortillement inférieurement postérieur : ce que j'aime en une femme, en une vierge, c'est la modestie sainte, ce qui me fait bondir d'amour, c'est la pudeur et la pitié, c'est ce que j'adorais en toi jeune bergère ». Le gracieux virginal devant lequel on est généralement en adoration devient grandiose par une forme de violence. D'ailleurs, on dirait que c'est justement ce calque « classique » (gros guillemets je ne sais pas comment l'exprimer autrement) qui donne une cohérence presque narrative à ses textes et c'est ce qui, moi, m'a permis d'apprécier sa prose comme à la lecture d'un journal intime visant un lectorat, à l'inverse d'une saison en enfer ou des Illuminations où les liens entre les poèmes sont codifiés, spécieux, trop torturés. (Quoi que pour les Illuminations...j'y reviendrai) Et puis pour finir, y a tout cet extrême réalisme, presque ce prosaïque, entre l'omelette, les haricots, le corps, le registre, qui comme chez Céline (enfin pour moi) est à la fois grossier, sale et sublime. C'est surtout le cas cette comparaison en ce qui concerne le corps, parce que les symptomes sont décrits et hurlent le sentiment. A un moment d'ailleurs dans le poème « Génie » il dit : son(mon?) corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle. Ce corps est en mouvement, il voyage, il expérimente, il parle. Sans connaître de nom de peintre précisément, ça me fait penser aussi à ces natures mortes où le pain, le vin encadrent le cadavre expressif d'un animal mort. Ou bien à certaines peintures flamandes, (Bruegel) ou expressionnistes où la beauté du tableau est composée de scènes horribles d'échafauds, de pouilleux, de cadavres. Tout ces objets sont vivants et morbides, ou révélés et magistraux. « Dans mon œil ouvert délicieusement vers le plafond tombe tout à coup une goutte de saumure, dégouttant d'un jambon planant au dessus de moi, et lorsque tout rouge de honte, réveillé dans ma passion, je baissai mon front, je m'aperçus que je n'avais dans ma main gauche, au lieu d'un chapelet qu'un biberon brun ; ma mère me l'avait confié l'an passé pour le donner au petit de la mère chose ! De l'œil que je tendais au plafond découla la saumure amère, mais de l'œil qui te regardait ô Thimothina, une larme coula, une larme d'amour et larme de douleur. » A partir de là, malgré tout ce blabla, je ne sais comment expliquer pourquoi je trouve ça beau. Parcontre petit bémol, ses poèmes avec le Zéphire là, je crois qu'il appelle cela « Brise », j'ai trouvé ça (attention langage jeune !) ...tout pourri ! Et pour finir, Les étrennes des Orphelins, pour moi même si c'est beau, super bien dit, c'est pas tellement du Rimbaud, ça m'a davantage fait penser à du Victor Hugo qui aurait lu une heure plus tôt du John Keats. Je ne sais pas, je ne l'ai pas « retrouvé » même si finalement ce n'est qu'en ayant tout lu de son recueil que je peux savoir à présent ce que je cherchais de lui. Cette section c'est un terrain de recherche d'identité littéraire sans doutes, un premier pas vers soi ou vers cet autre qui écrit en soi.


Pourquoi « je est un autre » ? On lance cette phrase dans certaines circonstances pour clamer qu'on la connaît, faire genre j'en sais des choses, mais dans le fond tout ça c'est bien épineux. Le plus dur c'est surtout de l'expliquer logiquement, de façon à donner une définition qui tienne la route, au-delà d'un ressenti proche du marasme qui reviendrait à dire : je crois comprendre sensiblement grosso modo ce que ça signifie. Moi, j'en suis là ! Je n'ai que des hypothèses ou pensées avortées. Est-ce que les génies sont comme des bipolaires, divisés entre la force d'énergie qui les pousse à les écrire(l'originalité) et leur esprit ? (la cohérence)Un peu comme la dichotomie gainsbourg et Gainsbarg ? Y a-t-il pour seule différence entre un fou et un poète la connaissance de la raison pure ? Le pouvoir de discerner le réel du délire et donc d'en jouer savamment ? Ce serait donc ça être « voyant » ? Pénétrer jusque dans l'os le rôle du fou pour voir des choses si différemment et étrangement afin de les retranscrire par le langage universel et donc plutôt cohérent dans le réel ? A force de jouer entre délire et réalité, ne devient-on pas complètement poète ou fou ? C'est d'ailleurs un peu le principe des chamans, ou rastafaris, dans d'autres cultures, si ce n'est que ces visions sont largement aidées par la prise de drogues hallucinogènes. (Quoi que connaissant les poètes de l'époque, avec l'absinthe et l'opium on n'est pas trop éloigné non plus) Après leurs « trip » ils reviennent sur terre pour raconter, et des éléments qu'ils ont oubliés ou qui n'ont pas de lien entre eux, ils les reconstruisent ou interprètent. D'un songe complètement décousu, ils font un patchwork plus ou moins cohérent. Et ce qui est curieux, c'est l'influence de leurs cultures ou connaissances sur ces songes. Un chaman issu du fin fond du Brésil aura tendance à voir les esprits de la forêt, des transfigurations de son quotidien, des images de ses morts qu'il a connu ou qu'il construit avec ses connaissances. Un même chaman en Afrique verra d'autres figures, un voyant occidental avec ses propres influences édifiera un nouveau temple pour ce genre de songes. Il y a aussi pour facteurs, l'intelligence de l'individu, sa personnalité. Les plus grands chamans étaient ceux qui savaient le mieux dire ces traductions, et leur donner une dimension spirituelle, belle voire poétique. Dire simplement « j'ai vu » peut contenter certains, mais dire « j'ai vu, j'ai senti, et c'est... » Voila qui donne de l'ampleur ! Quand on lit certains poèmes de Crowfoot par exemple, dont on sait que ce genre de pratique était courante, on perçoit un désir de mettre en connexion l'intellect raisonnable et le songe dans la poésie, ce qui donne une dimension spirituelle plutôt qu'expérimentale décousue. Pour les chamans, l'altération des sens (du cerveau) mènent à pousser de plus en plus loin les capacités de l'imagination qui révèleraient symboliquement le moi et leur monde. La drogue n'est pas nécessaire, elle permet juste d'aller plus loin et plus facilement, parce que nous rêvons, nous rêvons même éveillés, c'est donc qu'à la base cette capacité sans extrapolation est bien là. Il y a même des gens chez qui cette faculté doit être plus prononcée. Au fond, c'est juste une façon de prendre pour science, les phénomènes de l'imagination dans le cerveau altéré, lequel produit un monde nouveau à partir de l'ancien ou permet de voir le monde ancien avec de nouvelles visions issues de bugs du cerveau. « Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, etre né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'st pas du tout ma faute. C'est faux de dire : je pense : on devrait dire on me pense. » C'est d'ailleurs ce qui a poussé Kim Fowley a composer ses morceaux et chanter uniquement sous héroïne. Il pensait que c'était dans cette déstructuration qu'il était le plus cohérent et lui-même. Finalement, en ne se contrôlant pas, il arrivait à être un autre lui-même, subissant ses influences, ses craintes, son aura. J'ai eu des impressions semblables en lisant chronologiquement les poèmes d'Arthur Rimbaud, surtout en comparant les cahiers de Douai et à la toute fin les Illuminations, comme s'il y avait soit un aller de plus en plus puissant vers l'originalité, le cœur de l'énergie. Dans les cahiers de Douai, on trouve en effet une plus grande prépondérance à l'intelligibilité, à la poésie établie à peine transfigurée, à des effets comparables avec d'autres poètes, des structures connues, et vers la fin, ça devient de l'énergie pure, de la parole géniale sans carcans. Il y a d'ailleurs au début du recueil davantage de « il », de « on », que de « je », comme si Rimbaud ne voulait pas encore tout à fait s'affirmer, comme s'il voulait trouver des arguments arbitraires pour légitimer sa pensée, comme s'il n'osait pas être lui-même et s'inscrire plutôt dans une tradition poétique collective. Chez Gainsbourg d'ailleurs c'est un peu la même chose, le jeune Gainsbourg a des textes qui sont seulement teintés de son originalité, y a un jeu explicite entre ce qui était provocateur, innovant et un timbre plus classieux. A la fin de sa vie, Gainsbourg devient Gainsbarg car il rentre totalement dans ce qu'il a de fou et génial.
« Je est un autre » serait donc, peut être, le symbole d'une personne qui a décidé d'oublier sa personne en tant que tout équilibré, pour se consacrer uniquement à une partie de lui-même : le songe, le travail de retranscription, une vie d'expériences. Le chaman est d'ailleurs une personne à part entière dans la société, il ne peut pas se marier, travailler comme les autres, même s'il avait pu ! Son sacerdoce le rend prisonnier de la marginalité. Il a juste choisi d'être CELUI qui exerce son cerveau à trouver le vrai dans les visions. Il s'oublie donc en tant qu'individu pour devenir une sorte de prophète avec ou non un caractère sacré. Et pour vous, c'est quoi ce « je est un autre ? »
Je me sentais en ce début de cet article de commenter chaque section, mais déjà en me relisant pour ce peu, je trouve ça déjà lourd ! D'autant que ma seule observation de l'ensemble, est cette évolution dont je parlais plus tôt. En revanche, j'aimerais vraiment vous faire partager les poèmes que j'ai le plus apprécié le long de ma lecture et qui compose mon « best of » d'Arthur Rimbaud, poèmes sur lesquels je reviendrai. Quand j'étais adolescente, j'avais une préférence pour deux poèmes : Les réparties de Nina, et Première soirée. Ce n'était pas ceux que je trouvais les plus beaux, les plus grandioses mais ceux que je trouvais les plus doux et libres. (Je ne connaissais pas encore bien le monsieur ! ) Ca me faisait voir Rimbaud comme un « garçon qu'on pourrait aimer », quelqu'un de créatif, frivole, drôle, charmant. Un jeune adolescent plein d'amour, épris de mouvements, de rires, sur lequel on s'identifie facilement quand on a soi-même quinze ans. La sensualité y est riante d'ailleurs, avec une tonalité taquine, légère par un second degrès. Ceux-là, même si mes goûts ont évolué ou se sont complexifiés resteront dans une perspective nostalgique des poèmes-objets qui me touchent et me ramènent à moi comme une madeleine de Proust. Aujourd'hui, qu'est-ce qui m'a plu dans ces poèmes ?


J'ai eu un coup de cœur pour les poèmes extrêmement réalistes et sales, picturaux et vifs de Rimbaud. Ceux généralement qui dépeignent des portraits ou des situations entre morbide et sublime. Je songe notamment aux effarés, au dormeur du val, les chercheuses de poux, (magistral !) les assis, les mains de Jeanne Marie, Accroupissements, Au cabaret vert, (quand je vivais en Belgique j'ai eu l'occasion de me rendre à ce fameux cabaret, transformé aujourd'hui en arnaque pour touriste ! Ca m'a fait rire de relire ce poème car celui-ci était écrit sur les serviettes en papier du restaurant, lequel ne servait principalement que de la charcuterie, du fromage et de la bière très chers) La maline, les pauvres à l'Eglise etc. Ceux là, ils m'ont marqué, ils m'ont bouleversé, je les ai trouvé forts et puissants. Saisissants est le mot qui me vient à l'esprit et qui me parait le plus juste. Au travers du style et des images, il y a une reconstitution nette d'un tableau, d'une projection très vivante et très violente. En fait, en les lisant, j'avais l'impression d'être dans un musée, observant une époque, des quartiers, au travers d'un regard. Ensuite, j'ai eu une affection particulière pour des poèmes plus intimes, plus spirituels, plus doux. Quelque chose comme une aquarelle plus sensible et vaporeuse, fantasmagorique, qui fouille au fond de soi. Même s'il y a toujours cette sorte de folie génératrice, mordante qui se retrouve dans quelques vers, il s'agit d'une autre dimension poétique, parfois même avec des figures universelles de la poésie ou des réflexions elle et le poète. Alors que les traits sont vifs et précis dans les autres poèmes, ceux là sont vagues, ronds et plus léchés, et dans ma tête les images que ça produisait ressemblaient plus ou moins à du Turner. C'est plus un regard intérieur spirituel que de l'observation sur un monde transfiguré. Le poème d'Ophélie, Soleil et Chair, Rêvé pour l'hiver, ma bohème, ce qu'on dit au poète à propos de fleurs, voyelles,( est-ce vrai que Rimbaud était atteint d'une maladie visuelle qui le faisait voir les couleurs autrement que nous ?) le bateau ivre, nuit de l'enfer, aube, Génie, conte,(je l'ai perçu comme une déclaration d'amour à Verlaine, mais ais-je été trompée par ce que je savais de lui ?) enfance, vingt ans. Parfois, souvent, je ne comprenais pas ce que ça signifiait, mais comme Ophélie, je me suis laissé bercer par le courant. Génie, ma bohème et le bateau ivre m'ont donné la sensation d'une forte sincérité, et m'ont fait figure d'autoportraits virtuels, et que le poème Génie soit écrit à la troisième personne du singulier semble être la volonté de montrer qu'il s'agit d'un autoportrait du poète et non pas d'Arthur Rimbaud à proprement parlé. Une sorte de bilan sur ses pérégrinations rêveuses, du moins peut être ais-je pensé ça étant influencée par la préface de René Char. Autrement, je ne sais pas si j'aurais compris réellement ce poème. Parallèlement, j'ai détesté tous les poèmes « historiques » du recueil, où ça traite de soldats, d'évènements, de références d'époque, ça me passait au dessus et généralement je m'arrêtais de lire après la première strophe. De plus, en ce qui concerne Une saison en enfer, et Illuminations, je ne sais vraiment pas quoi en dire. L'impossible, délires, mauvais sang, nocturnes vulgaires, l'éclair....là comme je le sens, je me découvre chez un antiquaire face à un objet dont j'ignore le sens et l'utilisation, que je tourne dans tous les sens, perplexe, en me disant : ça doit être une sacrée invention mais je ne sais pas dire pourquoi, je n'en connais pas la source et le but. Sérieusement, une partie de moi juge ça d'élucubration mais une autre se dit « il y a autre chose », mais le côté frustrant de tout ça, c'est que « cet autre chose », je ne le trouve ou nomme pas. Non ça, le beau...ça...on peut dire que quelque chose l'est mais on sait jamais trop en dire davantage. Non?

Klzfgh_Jiejgog
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le 21 oct. 2019

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