Bien sûr, il y a toujours une petite honte à ne pas avoir lu des grands classiques de la littérature quand on est prof de français. Parmi mes lacunes inacceptables, il y avait Oliver Twist. C'est maintenant chose réglée.
Bien entendu, faire une critique du roman de Dickens, presque 180 ans après sa publication, alors que tout a déjà été dit et écrit à son sujet, c'est un peu idiot. De plus, je n'ai pas le talent de Ze Big Nowhere pour dépoussiérer les classiques (allez, un peu de pub pour son excellent travail : http://www.senscritique.com/liste/La_Litterature_pour_les_nuls_ou_Les_classiques_racontes_par/354975 ). Cependant, lançons-nous quand même, n'ayons pas peur du ridicule.

En fin de compte, à mes yeux, Oliver Twist est l'illustration parfaite de ce principe qui veut qu'un classique n'est pas forcément un chef d’œuvre. En fait, ma note, assez haute pendant les cent premières pages du romans, n'a cessé de baisser, à un rythme assez rapide dans la seconde moitié, d'ailleurs. Je crois que le problème majeur de ce roman, c'est qu'il est un peu "le cul entre deux chaises" (deux, ou plus même).
Le début est clairement celui d'un roman à thèse. Par les multiples interventions du narrateur, on voit facilement quel est le projet de Dickens, à savoir faire une critique de la politique sociale de l'Angleterre de son époque. Le système social de protection de l'enfance et de prise en charge de la pauvreté est attaquée sous tous ses angles, essentiellement à travers une série de personnages qui en montrent les lacunes. La "nourrice" censée s'occuper du garçon et qui détourne l'argent, les subventions allouées à l'hospice qui diminuent régulièrement pour cause de réductions budgétaires, un "bedeau" très imbu de ses propres petits pouvoirs et qui martyrise les enfants, les situations s'enchaînent et Dickens enfile les critiques comme les perles d'un collier. Ce n'est pas très fin, mais c'est efficace. De plus, l'absence de nom de lieu et de date, et les noms symboliques des personnages tendent à faire classer le roman parmi les contes politiques. Du coup, on pardonne parfaitement l'absence de réalisme et les situations pour le moins exagérées. Oliver Twist n'est pas un personnage, il devient le symbole des victimes sociales de l’État Britannique.
Ces passages sont, de très loin, les plus intéressants du roman. Après, ça se corse...

Pour faire simple, le roman se divise en deux parties à peu près égales. Dans la première, Oliver Twist est victime des pires horreurs possibles et semble, à chaque fois, s'enfoncer un peu plus dans un tourbillons d'immondice et de fange d'où il n'a aucun espoir de sortir.
Dans la seconde moitié, Oliver est sauvé (physiquement, moralement et socialement parlant) et tout va bien pour lui. Du coup, le personnage disparaît presque entièrement. Et le roman change complètement.
L'action est toujours centrée sur Oliver Twist, mais les protagonistes sont ici très différents : il y a, d'un coup, les anciens bourreaux de l'enfant (Fagin, Sikes, Monks) et, de l'autre, ses bienfaiteurs (Mme Maylie, Rose...). Pour les premiers, il s'agit de dissimuler un secret que les seconds vont s'échiner à trouver.
Nous plongeons alors en plein mélodrame. Personnages manichéens, exagération des sentiments, actes monstrueux, décors de bas-fonds, tout est fait pour rappeler ce genre littéraire peu subtil.
A cela, il faut ajouter aussi les travers du roman feuilleton. Car Oliver Twist est un roman feuilleton, et ça se sent bien. D'abord parce qu'il est bien trop long (on les sent bien passer, ces 500 pages). Ensuite, il y a cette multiplicité de personnages dont certains n'ont pas vraiment d'intérêt dans l'histoire (Bates ?).
Et puis, le pire, ce sont les "hasards de la Providence", tous ces deus ex machinae qui ponctuent la seconde partie du roman. Comme par hasard, Oliver aboutit chez une des rares personnages, dans toute l'Angleterre, capables de le reconnaître. Évidemment ! Toute la fin du roman n'est qu'une suite de coïncidences heureuses que Dickens essaie de mettre sur le dos d'une divinité bienveillante, et dont je chercherais plutôt l'origine chez un romancier en panne d'inspiration.

Il reste à parler des personnages. Oliver est attachant, et j'avoue que les longs passages de la seconde moitié où on ne le voit pas sont très ennuyeux. Les autres personnages étant caricaturaux, il est beaucoup plus difficile de s'y attacher. Cependant, il y a un personnage que je trouve peut-être le meilleur du roman, c'est Nancy.
En bref, une lecture décevante. Par contre, il faudrait que je revoie le film de David Lean, parce que actuellement, j'aurais tendance à le considérer comme meilleur que le roman.
SanFelice

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