S’il fallait indexer le fondement d’une théorie à l’obstination législative qui la promeut, les chômeurs et leurs représentants syndicaux auraient bien du mal à se défendre d’être les principaux responsables d’un taux d’emploi en berne. Durant ces vingt dernières années, des réformes telles que les lois Hartz en Allemagne ou le CICE en France ont contribué à minimiser les impôts et/ou les revenus de remplacement, à précariser les travailleurs, à promouvoir les emplois à temps partiel, à contraindre le financement de la sécurité sociale… En février 1999, Tony Blair annonçait dans un texte publié dans The Daily Mail sa volonté de remettre, avec intransigeance, les chômeurs au travail. Tout ne serait donc qu’une question de résolution, les travailleurs inoccupés attendant qu’on leur force la main pour saisir les opportunités laissées vacantes sur le marché de l’emploi ?


En sanctifiant ce dernier, en le dissociant de tous les autres marchés, en canonisant un prétendu point d’équilibre menant au plein-emploi, les économistes néoclassiques – et leurs successeurs – ont fait porter l’entière responsabilité du chômage sur les travailleurs eux-mêmes, ainsi que sur leurs représentants, responsables à leurs yeux d’avoir rigidifié le marché de l’emploi avec des salaires minimums trop hauts ou des législations sociales trop protectrices. Dans Pas de pitié pour les gueux, l’économiste Laurent Cordonnier expose le modèle néoclassique, en pointe les limites, mais revient surtout sur toutes les idées préconçues qui ont altéré notre appréhension du chômage et de ceux qui en font les frais. Ce faisant, il prend pour point de départ les dogmes néoclassiques : sans entrave, le marché du travail est supposé assurer le plein-emploi. Il s’agit dès lors d’identifier ceux qui en gênent le bon fonctionnement.


Sur le banc des accusés


Premier suspect tout indiqué : le smic. Forts d’une foi inébranlable envers le marché, les théoriciens du chômage estiment que l’instauration d’un salaire plancher en dessous duquel les travailleurs ne peuvent contracter impacterait négativement le taux d’emploi. Laurent Cordonnier argue quant à lui qu’en l’absence de salaire minimum, la concurrence entre travailleurs et la volonté des patrons de maximiser leurs profits aboutiraient à une dégradation continuelle des conditions salariales. L’auteur se penche aussi sur le « point aveugle de la théorie économique contemporaine » : conformément aux hypothèses keynésiennes, le chômage s’explique avant tout par une inadéquation de la demande solvable. À cette aune, le smic apparaît probablement davantage comme une solution qu’un problème.


Second suspect : le travailleur lui-même, tour à tour qualifié de « fainéant », « assisté » ou « profiteur ». Il y a là à boire et à manger. La théorie du Job Search stipule par exemple que le travailleur s’accommode volontairement d’une période de chômage en attendant une offre d’emploi satisfaisante – et repousse entretemps des propositions moins alléchantes. La théorie du salarié roublard suppose que les firmes se voient contraintes de proposer un salaire se situant au-dessus de celui qui égaliserait l’offre et la demande afin de se prémunir contre les travailleurs qui exagéreraient leurs aptitudes lors des recrutements – et qui, eux, seraient prêts à travailler pour un salaire de réservation plus faible. La théorie du salarié paresseux transforme le chômage en une punition contre les tire-au-flanc. La théorie du salarié primesautier explique que c’est pour fidéliser ses collaborateurs qu’une entreprise propose des salaires attractifs et sous-optimaux, lesquels génèrent du chômage en s’écartant du point d’équilibre du marché. À chaque fois, c’est le salarié qui endosse la responsabilité du chômage : soit il le recherche par oisiveté ou confort, soit il l’induit (volontairement ou non) par des comportements nuisibles.


En quelques mots


En un peu plus de 130 pages placées sous le sceau du didactisme et du sarcasme, Laurent Cordonnier met à mal quelques-uns des « mythes » qui entourent le chômage et servent d’incubateurs à ses théories économiques. Ce qu’on en retient, c’est que le plein-emploi passera par une remise en cause des dogmes néoclassiques, par une stimulation de l’activité et de la demande et par la réhabilitation, tant politique qu’économique, du chômeur.


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Cultural_Mind
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le 22 oct. 2020

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