C’est un très court récit de 2010 sur la littérature, entre fiction et essai, de ce grand escamoteur qu’est Enrique Vila-Matas.

Le narrateur, double fictionnel d’Enrique Vila-Matas, est invité à Lyon pour prononcer une conférence sur un thème rebattu qu’il connaît bien, la relation entre fiction et réalité. A son hôtel à Lyon, comme il attend vainement qu’on le contacte pour la conférence, alors l’attente prend le pas sur tout le reste, elle devient l’épicentre de la vie.

Au cours de cette attente, son esprit dérive et, se souvenant de l’adoration qu’on vouait à la théorie littéraire lorsqu’il était très jeune, il prend en note, en écriture automatique dans cette chambre d’hôtel, des considérations en vue d’une théorie générale du roman. Pour lutter contre la solitude, il se voit en héros d’une courte fiction intitulée L’attente, et tout ce qui lui arrive fait partie de cette fiction.

Il sort finalement dans Lyon et, s’arrêtant dans un kiosque à journaux, il tombe, de façon inattendue, sur un article sur Julien Gracq dans le magazine littéraire qu’il a lui-même écrit, ce hasard lui donne la liberté de se sentir autre, d’oublier son propre nom :

En relisant son article sur Gracq, il redécouvre la modernité du Rivage des Syrtes, rattaché aux tendances romanesques les plus contemporaines. A la fin, repartant de l’hôtel sans avoir participé à la conférence pour laquelle il avait entrepris ce voyage, il arrive à la conclusion que la théorie littéraire est inutile car elle ne naît que dans la pratique de l’écriture ; il se libère de la conférence et des théories et peut ainsi repartir, écrire, perdre des théories, perdre des pays.

« Sans doute vit-on mieux dans le néant qu’en pleine tempête ou après elle. Il n’empêche que le néant est douloureux, il est terrible de voir que l’histoire de notre continent a fini par devenir celle d’un grand vide provoqué par cet immense orgueil consistant à penser que, les dieux étant morts, il n’y a plus que nous d’immortels. Comme dit Félix de Azúa, un si grand vide a provoqué en nous un tel désespoir que nous finissons inexorablement par devenir la culture la plus belliqueuse à avoir jamais existé. Pourquoi ? On ne sait pas. Ce qui nous caractérise, c’est une pure activité sans fin, une course folle vers le néant. Tel est précisément le paysage moral que préfigure Gracq dans Le rivage des Syrtes, où le roman est abordé comme genre suprême de l’utopie, comme l’instrument le plus adéquat pour rêver de nouveau d’irréalité, chose absolument nécessaire. »
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le 25 déc. 2012

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