Petit Pays fait craindre les travers habituels du livre autobiographique racontant le « parcours hors du commun » d'un jeune immigré. Il démarre tel qu'on l'attend, avec une légère lourdeur condescendante du type « je m'efforce d'être comme les autres mais je souffre d'être exceptionnel ». Mais dès les premières pages, la sincérité totale de l'écriture prend le pas sur le style. Un style simple, fluide, limpide avec quelques tentatives d'envolées sympathiques qui n'ont rien de particulièrement impressionnant mais ont le mérite de soutenir des émotions sincères. Des émotions difficile à décrire car difficile à invoquer pour quelqu'un qui s'éprouve à y replonger. Pas des émotions inventées, donc.
Petit Pays n'est pas un grand livre de littérature, c'est un petit livre modeste qui s'épargne la fausse modestie, parfois de justesse. Le titre affirme déjà cette modestie et tout le témoignage est dans l'esprit de ce titre. Une petite personne raconte son enfance de petit garçon dans un petit pays. Ce petit pays, dans le souvenir de Gaël Faye se résume à une petite impasse, dont il comprendra, modestie oblige, qu'elle est un havre de paix réservé aux privilégiés. Je ne connais pas Gaël Faye à part ce qui en est rapidement dit en première page. Notre personnage ici s'appelle Gabriel, mais il n'est pas besoin de vérifier la véracité des faits pour savoir qu'il s'agit d'un témoignage. Ce qui prend relief, c'est bien la sincérité. Parce qu'en racontant le Burundi, Gabriel raconte ses désillusions d'enfant, son passage forcé et trop précoce à la dureté du monde, mais aussi ses erreurs, ses caprices, précédés de la prise de conscience d'être un privilégié. Avec son regard d'adulte, il retranscrit les souvenirs d'un tonton raciste qu'il ne voyait pas comme tel à l'époque. Il retranscrit les bagarres d'enfant en y mettant son questionnement sur l'absurdité et la soudaineté de la violence. En décrivant ses querelles puériles, Gabriel anticipe un génocide dont la puérilité décuplée se passera alors de mot. Etonné, surpris et traumatisé par la violence subite au Rwanda qui a débordé au Burundi, Gabriel tente de comprendre les mécanismes de la violence et des divisions à travers les détails de sa vie d'enfant.
Gaël Faye témoigne. Il ne s'invente pas une tare, une particularité ou un sentiment de différence ce qui aurait donné dans la fausse modestie. Il se décrit de loin comme un enfant normal privilégié sans s'en rendre compte et n'hésité pas à décrire ses comportements détestables. Un soupçon de « je ne suis pas comme les autres » peut paraître vers la fin dans sa vision du conflit dans la société civile, mais c'est très à propos et encore une fois, ça paraît vrai. Gabriel n'a pas mieux compris que les autres. Il ne fait pas une leçon de morale à l'occidental qui ne se serait pas soucié de son sort. Gabriel tente plutôt de s'expliquer à lui-même la stupidité de ce qui a pu arriver à son petit pays, et par là, bien sûr, à sa famille. S'il a quelques pistes, il se les donne à lui-même plus qu'au lecteur et elles sont toutes marquées d'un point d'interrogation.
Si vous craignez « mon histoire de miséreux qui s'en est sorti » ou « L'Afrique expliquée à un crétin d'européen » ou encore « j'ai vécu l'horreur, je vais en faire un livre », sachez que si vous y voyez ça, c'est que vous vous avez les yeux à l'ombre une visière de mauvaise foi. Car l'indiscutable sincérité de tout ce récit rend le pays, son histoire et cette personne fichtrement intéressants, et même plus. Quand vous aurez décidé que c'est pas mal et le lirez jusqu'au bout, ce livre pourra même vous brasser, vous barbouiller, vous provoquer de salutaires nausées.