Un long chemin vers le go

N'en déplaise aux auteurs de ce livre initiatique, je suis un joueur d'échecs depuis ma petite enfance. Bien-sûr, j'avais entendu parler du go mais ce jeu restait pour moi une lubie asiatique, lointaine et inaccessible, une sorte de vieux délire mathématique pour esprits abstraits. Non, on ne choisit pas son éducation. Ne sais-tu pas pauvre fou que la culture joue bien des tours ? Une envie de découvrir le jeu survint en 2016 lorsque le programme informatique Alphago battit l'un des meilleurs joueurs mondiaux. Il s'était donc écoulé vingt-six années d’ingénierie informatique entre la défaite de Kasparov contre DeepBlue et la première défaite d'un maître du go contre l'ordinateur. Mais cela n'a pas suffi à l'époque pour me convaincre de la médiocrité des échecs et me faire franchir le pas. C'est par accident, ainsi que presque tout ce qui arrive de bon dans cette vie, que je mis un jour à jouer avec un ami danois qui s'était précédemment initié. Au bout de quelques parties, je compris que le jeu méritait de retenir l'attention d'un mordu de jeux de logique et de stratégie. Il n'en fallait pas plus pour que je m'y mette plus sérieusement et vante les mérites du jeu à qui veut l'entendre. On finit par me tendre ce petit livre.

Le livre du jeu

Le traité propose un parallèle entre l'esprit borné de l'européen et la puissance créative de tout japonais de plus de dix ans. Le seul espoir pour l'européen de se hisser à hauteur est évidemment de se mettre à jouer au go. Pour le soustraire à sa nonchalance, des piques incessantes sont dirigées contre les échecs et ceux qui s'obstinent à y jouer. Elles sont tantôt justifiées, tantôt de mauvaise volonté mais font certainement mouche. La partie "La Règle" peut en principe être sautée par qui la sait déjà mais on ne conseillera jamais assez de se remettre en tête les principes premiers du jeu afin de ne pas se laisser égarer par des propositions secondaires. [Signalons ici une coquille de la partie I.15.1 : 8b n'est pas un SEKI puisque N peut jouer R18.] Je passais ensuite aux exercices et les effectuais avec le zèle d'un apprenti chez un maître des arts martiaux. Tandis que la bonne volonté de l'élève s'émousse d'ordinaire lorsque le maître lui demande de balayer la cour du temple, mon zèle ne s'atténua pas lorsque j'ai dû apprendre les premiers Joseki. Cela tient à la fois à la logique superbe du jeu et aux solutions exposées par les auteurs, plus lapidaires qu'un haïku de Sōseki. Ayant à l'esprit la sentence de Wittgenstein : "l'explication est une sorte de fausse corniche qui ne soutient rien", je n'en fus pas offusqué. Les raisons d'une solution, il faut les trouver soi-même sinon tout passe, tout coule, tout s'efface. Refaire toujours et encore les exercices - jusqu'à saturation. La troisième partie du livre est parfois un peu datée et les jeux de mots font juste sourire. Des précisions utiles en revanche sur les dimensions et les matériaux utilisés traditionnellement pour le go-ban. Le prêtre avait prévenu mais rien n'y fit : je serais capable de déménager au Japon rien que pour progresser au go.

Aragne-souriante
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le 17 janv. 2023

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