Peur
7.1
Peur

livre de Dario Argento (2014)

J'ai revu récemment bon nombre de films de Dario Argento (essentiellement sa période années 70-80), ceux-là même qui avait fait du réalisateur italien une de mes idoles adolescentes (avec De Palma, Peckinpah, Coppola et Ettore Scola). Cette autobiographie du cinéaste de 77 ans arrive donc à point nommé pour parfaire ma relecture des classiques du monsieur et de donner un éclairage nouveau à la vision de ces films.
Peur est un livre de souvenir, d'anecdote, de récit de tournage, de réflexions sur le métier de réalisateur, comme il en existe d'autres. Le lecteur, amateur du cinéma d'Argento, ne pourra qu'être intéressé par un tel ouvrage, d'autant plus qu'Argento y apparait sincère et franc sur sa carrière et sa vie privée. Mais le livre dans ses révélations poussent plus loin l'intérêt de Peur. Certaines anecdotes changent profondément la vision que l'on peut avoir d'un film : je pense à Quatre Mouches de velours gris, troisième film de l'italien dont on apprend que Michael Brandon et Mimsy Farmer (mari et femme dans le film) pouvaient apparaître alors comme les sosies d'Argento et de sa femme (surtout Farmer avec sa femme d'ailleurs). Quand on sait que tout le film, Brandon vit sous la menace d'un mystérieux tueur et que celui-ci se révèle être sa femme - qui meurt décapitée - on ne peut qu'en tirer des conclusions psychanalytiques sur un film que l'on n'aurait seulement abordé sous l'angle du giallo.


Au fil de la lecture, se détachent des thématiques, des intérêts, des marottes même qui font d'Argento, un auteur à part entière.


1- l'intérêt pour la littérature : Argento voulait devenir écrivain avant d'être cinéaste - entre les deux, il a été un critique cinéma peu orthodoxe pour Paese Sera. Finalement, beaucoup de ses films lui ont été inspirés par la littérature. Poe évidemment mais aussi Thomas de Quincey (Pour Suspiria), Gaston Leroux (le fantôme de l'Opéra). Dès son premier film, la littérature est bel et bien là avec The Screaming Mimi de Fredric Brown que Bertolucci voulait adapter (sans réussir) avant que Dario n'en fasse l'Oiseau au plumage du cristal - également inspiré par un indigestion en Tunisie et le cauchemar qui en découla.


2- l'importance de l'architecture et de l'urbanisme qui se traduit dès le début de carrière par son envie de tourner à Turin (souvenir d'un passage dans la ville adolescent) - ce qui était compliqué car les infrastructures nécessaires n'étaient pas implantées dans la capitale piémontaise. Argento y parviendra (dans le théâtre Carignano ou la piazza CLN pour Profondo Rosso par exemple) mais souvent en mixant les lieux, les villes et même les pays, créant ainsi des espaces réinventés : dans Quatre mouches de velours, Rome, Milan et Turin forment une ville finalement imaginaire. Profondo Rosso mixe Turin, Rome et Pérouse. Idem pour Inferno entre Rome et New York. Argento explore les quartiers qui deviennent dès lors signifiant pour son récit - comme le quartier de l'EUR de Rome dans Ténèbres. Il peut passer un temps fou pour trouver le bon escalier (celui de James Franciscus dans Le chat à neuf queues) ou la bonne maison - notamment la villa Scott qui devient la "villa de l'enfant qui hurle" dans Profondo Rosso (à l'origine une école tenue par des nonnes - un lieu que la production a obtenu en offrant des vacances sur l'Adriatique à tous les pensionnaires !). Le lieu, élément prépondérant pour créer une atmosphère de peur, prend une importance prépondérante chez Argento.


3-l'utilisation des techniques de pointe.
On peut citer la Pentazet, une caméra unique au monde propriété de l'université de Leipzig qui permet de rendre à son meilleur un effet ralenti jusqu'à 36000 photogrammes à la seconde - utilise pour la décapitation de Mimsy Farmer dans Quatre mouches de velours gris ou la balle sortant du canon dans Opéra.
La Snorkel, caméra endoscopique pour Profondo rosso, permettant d'aller dans tous les recoins de la villa Scott.
La Louma, encore peu usitée, pour Ténèbres.
Les images numériques permettant de suivre le parcours d'une pilule dans le corps pour le Syndrome de Stendhal (une idée qu'Argento avait déjà en tête en 85...il faut être patient !)
Argento innove, trouve sans cesse des solutions pour rendre visuellement ce qu'il a en tête comme suivre le vol d'un corbeau en caméra subjective pour Opéra (à l'époque sans ordinateur)


4- l'intérêt pour la science.
Les films d'Argento ne sont pas réalistes, il se place plutôt sur le terrain du rêve, du phantasme. Il n'empêche, il se base souvent sur des recherches scientifiques. Comme les aberrations chromosomiques dans le Chat à neuf queues, les travaux de l'entomologiste Marcel Leclerc avec larves permettant d'établir les causes d'un décès, d'autre permettant de trouver un cadavre (Phenomena), les études de la psychiatre Graziella Magherini ayant mis en évidence le Syndrome de Stendhal (dont Argento, ado, a lui-même été victime en visitant le Parthénon).


5- l'omniprésence des animaux. Il y a bien sûr la trilogie animale (plus pour les noms des films que pour les animaux qui y participent). Mais il y a surtout les rats d'Inferno, le chien de Ténèbres, les insectes et le singe de Phenomena, les corbeaux d'Opéra, le chat noir de son adaptation de Poe. Son Dracula peut se transformer en chouette, en loup, en mante religieuse.


Au final, se battant contre tous (au début producteur, puis la censure), le livre décrit en creux un cinéaste démiurge, qui en dépit des obstacles rencontrés, a su faire partager sa vision ultra personnelle et ses idées ambitieuses. *Peu*r ne m'a pas forcément réhabilité avec la seconde partie de son oeuvre - cela commence à virer mal avec Phenomena et Opera, à la fois porteurs de grands moments mais lestés par des idées absurdes - mais m'en a fait encore plus apprécié la cohérence et l'originalité.

denizor
7
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le 13 mai 2018

Critique lue 471 fois

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denizor

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Tibulle85
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