les mots à la bouche
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le 28 août 2012
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Je pense qu'un mec comme Racine, ça devait pas être facile tous les jours d'écrire. Ouais ça parait vraiment débile comme raisonnement, une énorme énormité, mais laissez-moi m'expliquer : le mec il veut du parfait. Symétrie parfaite, triangle parfait, rupture parfaite, style parfait, intrigue parfaite, tout doit être tellement ciselé pour entrer dans son idéal esthético-narratif qu'à la fin on ne peut finir que par péter un boulon. Je crois que c'est ça qui marque dans Phèdre. Pas juste le personnage en lui-même, qui est juste une grosse pleurnicheuse dans cette pièce-ci, mais la façon dont Racine crée une tragédie d'une finition pratiquement absurde.
L'histoire de Phèdre, telle que racontée par Racine, c'est du compliqué. Thésée règne en maitre sur Athènes mais est introuvable depuis des mois, des suites d'une de ses aventures. À Trézène, une résidence royale, son entourage broie du noir, pour à peu près toutes les raisons sauf l'absence de leur patriarche : Hippolyte, fils d'une ancienne union avec la reine des Amazones et donc premier descendant de Thésée, soupire d'amour pour Aricie, princesse d'une autre branche dynastique écartée du trône par l'accession au pouvoir de Thésée. Phèdre, femme actuelle de Thésée et fille de Minos et Pasiphaé, est elle-même soumise à un terrible trouble : elle en pince pour Hippolyte. Et Aricie captive de brûler d'une flamme identique... Alors la mort de Thésée est annoncée, et chacun des trois prétendants au trône (Hippolyte, le fils de Phèdre et Aricie) va devoir trouver un équilibre entre raison d'état et passion secrète...
Le génie de la pièce réside selon moi à son déroulé : Hippolyte révèle au public son secret, puis Phèdre qui crée au passage l'effroi (adultère, inceste, éphébophilie, la totale) et l'apitoiement. Déjà là ça fait un bel ascenseur émotionnel : on sent l'amourette débile et finalement pas trop dangereuse dans la première scène, puis BAM, une autre tension est révélée, qui est à la fois contraire à la bonne marche du royaume, contraire aux moeurs et en opposition directe avec l'histoire d'Hippolyte. De là, de cette simple façon d'agencer les deux premières scènes, un labyrinthe d'émotions contraires se crée. Et puis acte par acte, les aveux tombent, la situation tourne et retourne, et chaque personnage est pris dans un tourbillon qui le dépasse.
J'ai parlé d'Iphigénie dans une critique précédente, et je vais ici expliquer pourquoi, d'une pièce à l'autre, tout parait si différent. Dans Iphigénie, la transgression n'existe pas. Tout le monde occupe exactement la place qu'il doit occuper, et c'est finalement la faute d'un dieu farceur si Agamemnon est coincé entre deux devoirs contraires. Hormis cela, chacun est beau et parfait, hormis une intrigante qui obtient ce qu'elle mérite. L'idée du sacrifice ne sert finalement qu'à montrer à quel point les personnages sont vertueux et droits et honnêtes et feront tout ce qui doit être fait pour empêcher l'impardonnable. Dans Phèdre... c'est le contraire. Bien sûr Racine désamorce les crimes de Phèdre en les imputant à Oenone, une domestique, mais la transgression reste au coeur de la pièce. Je me garderai de spoiler le contenu de la pièce, mais ce qui fait toute la puissance et le réalisme, presque, des personnages, c'est qu'ils ne tiennent jamais leur place comme ils le devraient. Tous, portés par des pulsions bien humaines, sont soumis au doute, à la douleur, à la désillusion.
Je reviens à ce que j'ai dit en intro du coup. Je crois que Racine a longtemps cherché cet équilibre qui replacerait l'humain au centre du drame, y échouant souvent de peu pour l'une ou l'autre raison. Phèdre est considéré comme une de ses pièces majeures, si pas la plus aboutie de son oeuvre, et j'aurais tendance à le croire. Pas parce que la pièce serait d'un génie particulier. Parce qu'elle constitue l'aboutissement de tout une quête littéraire de son auteur, celle de l'humanité en crise.
Phèdre est une oeuvre réellement très intéressante et riche à la fois dans sa technique littéraire et dans ses thèmes sans cesse renouvelés et d'une intemporalité troublante.
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Créée
le 13 nov. 2015
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