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6.9
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livre de Michel Houellebecq (2001)

De la tristesse absolue à la beauté ineffable

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Le roman commence d'une façon tout à fait grinçante et, un peu à la manière de l'incipit de l'Etranger, le narrateur constate avec plus que de l'indifférence, du cynisme, le cadavre de son père. Portrait d'un homme seul, célibataire endolori par la platitude et l'ennui d'un quotidien morne et gris, les premières pages nous propose de suivre un narrateur assez détestable, mais auquel, paradoxalement, on ne cesse de s'accrocher.
Il est un échantillon de l'homme occidental du XXème siècle décadent : boulot, métro, putes, télé, dodo. Comme un besoin de prendre l'air, Michel va décider -élément déclencheur- (car oui, il faut le dire, on va un peu les ficelles, et c'est surtout là que cest gênant) de partir en voyage en Thaïlande.
Méticuleusement, il décrit tous les phénomènes sociaux contemporains, les conventions sociales stupides et déterminées, par exemple, lorsqu'il achète une bouteille d'alcool, mais n'ose la boire devant les autres touristes, de peur de passer pour ce qu'il est : un homme seul et triste qui noie son ennui. Un peu comme Balzac décriptait l'économie industrielle et de l'épargne des rentiers du XIXème siècle, Houellebecq peint notre société de consommation, basée sur une économie tertiaire tentaculaire, et la représentation sous jacente de l'homme comme un objet de consommation. "Nous n'étions pour eux que des portefeuilles sur pattes". L'espace scénique ne se restreint plus au village, à la ville, comme chez Balzac, mais au monde entier, où la mondialisation des échanges depuis des années entraîne des flux constants de personnes et d'argent. A l'autre bout du monde, l'homme occidental va rechercher la chaleur de l'innocence perdu, de la bestialité perdu (selon ses représentations culturelles). Il va alors se retrouver face à la beauté de l'échange, du partage, grâce à une rencontre impromptue et exceptionnel : Valérie.
Le roman du Houellebecq marque l'apogée de la gloire de l'anti-héro dans le roman français, entre l'homme banal et seul dans La Nausée, le mâle las en perte de sens et d'identité dans le Nouveau Roman, ici c'est le névrosé-pervers-alcoolique et misogyne qui est le coeur du drame. Quant à la femme, elle incarne la génération post suffragette, où l'émancipation totale : plus de bouffe, plus de balais mais une volonté bien affirmée de ne pas se laisser manger par les autres. Toutefois, cette femme, "projection des fantasmes de l'auteur" ? reste totalement sexuelle. La thèse du roman tend à montrer qu'aujourd'hui, en Europe, la majorité des gens se replient sur eux-même, et perdent tout désir de donner aux autres, et, partant, ne baisent plus assez. Vont voir les prostitués pour se soulager, préférant acheter un service, que donner de la chaleur à leur partenaire.
Ainsi, le narrateur nous décrit la vie sexuelle de nombre de personnages, déclinant les moultes formes de la sexualité : de la tendresse à la bestialité en passant par les clubs SM et échangistes d'un Paris noirâtre et festif.


Toutefois, on peut parler d'un optimisme latent dans le roman, en ceci que le narrateur vit des moments de partage exceptionnellement fructueux, dans une relation équilibrée avec Valérie. Il nous trace une possibilité de bonheur, qu'il regarde, un an après, comme une période contingente, qui a dépendu du hasard de l'existence. Ainsi s'ajoute au côté analytique et descriptif de la société contemporaine française, un côté métaphysique et contemplatif. De cette association née toute la poésie du roman : mêmes les scènes décrite avec détachement sont voilées de chaleur et de douceur. Le style de Houellebecq est doux-amer, glacial-chaux. Le cynisme main dans la main avec la pudeur, la tendresse, l'hypersensibilité. Ainsi, nous sommes touché par ce que vie le narrateur, et dans le "coup de théâtre final" (attendu aussi, évidemment, on le voit venir d'assez loin, plusieurs chapitre auparavant un climat d'insécurité s'installe) on ne peut que nous joindre à la misère du héros et nous prendre de pitié pour lui. La fin du roman reste sobre et légère, bien que la situation soit grave et triste. Ainsi, cette oeuvre, difficile à résumé tant elle s'éparpille sur plusieurs tableaux et vaquent à plusieurs occupations pour le roman, nous dessine le salaud d'aujourd'hui, et nous propose de l'aimer.

Mansfield
8
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le 7 sept. 2014

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Mansfield

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