Les fondations de la fondation de Fondation

Prélude à Fondation (1988) se situe en effet avant le récit de l'Aube de Fondation (1993), lui-même préquel de Fondation, écrit en 1951, soit près de quarante ans plus tôt. Asimov est considéré comme l'un des "maîtres" de la littérature de science-fiction, et de la science-fiction tout court au vu du nombre d’œuvres en tout genre qui en sont inspirées. C'est plutôt le cycle des robots (I, robot) et certains textes de ses recueils de nouvelles (L'Homme bicentaire) qui ont été adaptés en films tandis que le cycle de Fondation, écrit avant le cycle des robots et autre pilier de son oeuvre, n'a pas semblé intéresser les producteurs, peut-être lucides quant à l'ampleur de la tache, et peut-être tenus à distance par les déclarations d'Asimov opposé à une adaptation au cinéma... Pourtant Jonathan Nolan, fort de ses succès scénaristiques avec Memento, Batman et Interstellar, a réussi à mettre en route un projet avec HBO, "Foundation", prévu pour 2018.


Comme j'aime bien faire les choses dans l'ordre, j'ai voulu commencer par le tout début selon la chronologie du récit, Prélude à Fondation. Ce livre a beaucoup de qualités mais qui viennent de son appartenance, de son rattachement à un univers très riche et complexe. En lui-même, je l'ai trouvé assez moyen. Peu de choses se passent en réalité (ce qui n'est pas un défaut en soi mais dans ce roman précis, centré sur l'action, si). Le héros, Seldon, ne semble pas passer beaucoup de temps à travailler sur sa psychohistoire alors que c'est censé être le but de sa "fuite". On comprend plus tard que justement non, le but de toutes ses pérégrinations sont les pérégrinations elles-mêmes, comme déclencheurs de prises de conscience et pour alimenter ses réflexions.


Ca pourrait être très valable mais je trouve qu'on ne voit pas suffisamment de choses à chaque étape du voyage. Chaque lieu n'est pas assez décrit, assez détaillé, tout comme les personnages rencontrés ne sont pas assez caractérisés et nombreux. Il en ressort une sensation d'artificialité tout au long du roman. On dirait que chaque endroit où se rendent les héros est une étape préalablement fixée, un passage obligé alors que le récit veut nous faire croire à des circonstances imprévues, des événements qui se produisent à cause d'une menace (l'empereur et Demerzel) qui plane au dessus des personnages pendant tout. Sauf que le schéma narratif et le rythme sont à chaque fois les mêmes, réduisant à néant la peur que devrait susciter cette menace. On en vient juste à se demander quels sont les 2-3 personnages que les héros vont rencontrer à une nouvelle zone, ce qui va les en chasser une nouvelle fois et quel petit morceau de connaissance toute cette débauche d'énergie aura permis. Ces fragments de connaissance sont censés s'ajouter à la réflexion de Seldon, former un puzzle progressivement, mais le lecteur n'y a quasiment jamais droit, laissé dans l'obscurité jusqu'à la toute fin, où on découvre tout ce que Seldon a réussi à mettre bout à bout, dans deux dialogues très intéressants.


Mais c'est peut-être justement là qu'Asimov est génial : cette artificialité se trouve justifiée à la fin. Même les choses bizarres dans la caractérisation de certains personnages comme Dors, trouvent leur explication. Mais bon est-ce que le fait que ce qui semblent être des défauts pendant l'histoire trouvent une raison d'être à la fin dans le récit, par le récit, enlève le fait qu'ils aient été des défauts tout du long ?


Je ne sais pas si c'est la traduction française qui n'est pas terrible ou si c'est Asimov qui a du mal avec les dialogues, mais les échanges entre personnages sonnent souvent faux. C'est notamment le cas des dialogues avec Raych, le jeune dahlite, qui parle avec des expressions qui se veulent familières mais qui sont désuètes et nuisent à la crédibilité du personnage.


Je trouve qu'il y a donc globalement une sensation d'artificialité, que ce soit dans la structure du roman, calquée sur les déplacements des héros à travers la planète, ou même nichée dans les dialogues. Je ne pense pas que ça vienne du principe même du livre (écrire le prélude d'un autre prélude), ni du grand laps de temps entre l'écriture de Fondation et celle de ce livre, ou du fait qu'Asimov ait été poussé par son éditeur et ses lecteurs. C'est plutôt simplement que le lecteur n'est pas associé au développement des pensées de Seldon, alors que c'est l'objet du prélude, et doit attendre la toute fin pour que le personnage principal lui balance tout en pleine face.


Tout cela est compensé en grande partie par la puissance des idées et la richesse de l'univers, très vaste et pourtant très cohérent et réaliste. On entrevoit 6 des secteurs de Trantor, planète qui est le siège de l'Empire, avec chacun leurs spécificités en terme d'organisation politique, d'économie, de problèmes sociaux (discriminations, inégalités, religion), et leurs rapports de force avec le pouvoir impérial. Asimov hisse dans son récit des enjeux géopolitiques et des considérations presque philosophiques, notamment sur l'évolution des civilisations, sur la responsabilité des individus sur le "cours de l'histoire", sur la portée des actions humaines et leur fragilité.

Tsamon
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le 9 déc. 2016

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