J'avais déjà feuilleté ce livre il y a un bon moment ; je le reprends des années de lectures plus tard, à un moment où, désormais, les auteurs travaillés ici par Nancy Huston me sont pour la plupart connus, et pour la plupart parmi mes préférés, sans que je partage l'ensemble de leurs points de vue. Je me retrouve donc dans la même position que l'autrice : ce sont des auteurs que j'adore, qui ont participé activement à ma formation intellectuelle (comme Huston, les néantistes ont été mes lectures préférées entre 17 et 23 ans ... je lisais "De l'inconvénient d'être né" au-dessus du berceau de ma fille). Huston règle donc ses comptes avec sa bibliothèque, ce qui est l'activité intellectuelle la plus réjouissante du monde.


Deux choses sont frappantes et ont souvent déplu à d'autres lecteurs :
- le détour de la "déesse Suzy", donnant lieu à des dialogues parfois étranges. Cela m'a étonné au début, je n'appréciais pas. Mais, par la suite, je me suis demandé : le livre serait-il meilleur sans ? La réponse est non. Ces dialogues rompent ce qui pourrait être la monotonie de l'essai et des biographies.
- la méthode biographique. Le livre nous propose d'abord une galerie de portraits, sur le mode des "vies parallèles". Adorant personnellement le genre littéraire des vies parallèles, cela m'a conquis. Cependant, Huston semble réduire les auteurs à des troubles biographiques, dont leurs œuvres seraient l'émanation. Je comprends qu'on accepte mal ce principe. Il a cependant une vertu ironique et polémique : il fait tomber de leur piédestal des auteurs dont la métaphysique n'est finalement d'un intérêt que médiocre, et les ramène eux-mêmes dans le "corps" qu'ils prétendent mépriser, en particulier celui des femmes.


Le dernier élément qui pourra déplaire est l'aspect "féministe" du livre, ou plutôt l'instance sur le rapport des auteurs aux femmes, et à la posture de l'autrice comme opposante féminine aux auteurs "génophobes" et misogynes. Mais cela, c'est à chacun d'en juger selon son âme politique. Dans tous les cas, c'est un bon livre.

Clment_Nosferalis
8

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le 12 mars 2021

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