"La Première Gorgée de bière..." du philosophe

"Si je vais de torrent à torrent, je trouve toujours le même torrent.
Mais si je vais de rocher à rocher, le même torrent devient autre à chaque pas."

Le livre est truffé de belles images et de propos tous plus inventifs et pertinents les uns que les autres. Tous les citer serait tout simplement paraphraser l'ensemble de l'ouvrage.

Il est également réjouissant - pour le cancre en philo que je suis - de disserter sur un thème de manière légère et de manière didactique. Tout cela à l'aide des plus grands penseurs puisqu'on y retrouve fréquemment les points de vue de Spinoza, Descartes, Platon, Zénon et confrères.
A chaque fois, les citations sont brèves et à propos. Selon les cas, elles introduisent ou illustrent. Mais ne semblent pas être reprises pour faire oeuvre d'assertivité descendante.

Les moments forts que j'en retiens au-delà de l'optimisme ambiant des Propos :
- la perception du bonheur est relative à l'énergie que l'on y consacre ;
- plus que les facteurs exogènes, nous sommes le premier moteur de notre propre bonheur ;
- plus concrètement, Alain ne pose pas sottement la valeur "travail" mais explique pragmatiquement comment créer ou se dépenser physiquement permettent de mettre son corps et son cerveau en ébullition. Et donc à quel point la mécanique chimique corporelle est liée au sentiment de bonheur.

J'ai adoré également la lecture du bonheur en famille, en tant que père qui essaie de trouver une voix entre héritages de la virilité masculine et de l'idéalisme post 68.
Je le résume à son paragraphe de clôture : "Il y a d'autres familles où la fantaisie de chacun est chose sacrée, chose aimée, et où nul ne songe jamais que sa joie puisse être importune aux autres. Mais ne parlons pas de ceux-là ; ce sont des égoïstes".
Cette citation résume à elle-seule ce livre sublime :
- de courts paragraphes bien tournés,
- le sens de la formule sans emphase,
- une approche simple et concrète des thèmes,
- la présence fréquente de touche d'humour et de second degré, parfois un brin provocateur (sur l'origine de la guerre notamment) ou goguenard,
- à l'arrivée, un enseignement léger et sans prétention.

Evidemment, lire 250 pages d'une centaine de chapitres de 2-3 pages chacun pourra parfois sembler un peu long et répétitif ; à juste titre car certains développements sont redondants.
C'est donc un livre qui se déguste facilement (de préférence ?) sur un temps long plutôt qu'en 2 ou 3 soirs d'affilée.
D'ailleurs Alain lui-même a mis plus de vingt ans pour l'écrire !
On peut bien prendre plusieurs semaines pour le digérer.

En résumé, un des ouvrages de philosophie les plus réjouissants et les plus accessibles que je n'ai jamais lu.