Pulp
7.4
Pulp

livre de Charles Bukowski (1994)

En s'insérant fissa dans le ballet ininterrompu des figurants et personnages secondaires, cette foule dégueulasse qui gravite systématiquement autour du lamentable héros bukowskien, en faisant de l'auteur à succès un protagoniste banal et vite oublié, un pochard de passage, le vieux Buk semble affirmer une volonté d'émancipation, une rupture franche et honnête avec l'éternelle autobiographie.

Pulp construit son monde comme une fiction cradasse, le vieil Hollywood fatigué et ses ultimes représentants, le privé blasé, philosophe à la bouteille – "l'un des meilleurs" – en chef de bande, meneur épuisé de ce voyage au bout de la nuit. Et si je cite maintenant, ça n'a rien d'anodin, ce cher Louis-Ferdinand, c'est qu'il traîne un peu partout sur Sunset Boulevard, embarqué bien malgré lui dans l'irrévérencieux conte du vieux fou.
Pas seul, loin s'en faut, même fort bien accompagné puisque Dante et Fante sont de passage, que Faulkner s'invite fréquemment. Révise tes références.
Et aussi une monstresse de l'espace.

À bien y regarder pourtant, Belane, sa bouteille, sa désinvolture, ses pensées profondes, son mal de vivre, son obsession jambière, son humour – car Buk atteint une forme d'humour absolu, destiné à tous et personne à la fois, éminemment personnel mais bizarrement universel (révise quand même tes classiques) - à bien y regarder, il a tout l'air de l'alter ego bien connu du vieux dégueulasse.
Pulp est bel et bien autobiographique, bon sang ne saurait mentir, plus autobiographique que jamais, plus subtil avant tout. Caché en plein jour sous le masque grossier du détective Belane, Charles Bukowski conte à nouveau la dérision de vivre avec ses contemporains, ses convictions et surtout ses peurs, son étrange rapport à la mort.
La grande faucheuse qui ne le lâche plus, bienveillante, rassurante, effrayante, salvatrice à ses heures, drôle et absurde parfois, la dernière femme du grand Charles. Elle ponctue le récit de ses inénarrables apparitions, fidèle compagne à l'origine des rares échanges sincères permis au privé. Les autres se faisant avec une monstresse de l'espace dépravée. Comme si l'humanité n'avait plus rien à offrir au romancier, profondément déçu par celle-ci, ses seuls espoirs résidant en ces chimères étranges, cette fatalité absolue, lucide.

Pas de quoi se marrer, me diras-tu.

Pulp est noir, brutal, jusqu'au-boutiste. Cependant désopilant. Comme un bon Céline? Comme un bon Céline.
Pas étonnant que Bardamu promène son sursis de vie sur ces pages, pas étonnant qu'il y soit comme un poisson dans l'eau. L'élève a rejoint le maître. Buk livre son œuvre la plus ambiguë et la plus trompeuse, sa fiction la plus personnelle.

Et si tu ne me crois pas, "demande-le à la poussière".
-IgoR-
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le 4 mars 2015

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-IgoR-

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