Sophie Divry nous invite dans son univers rocambolesque où niveaux de langue et registres se rencontrent. Au croisement de l’innovation stylistique et du portrait social, Quand le diable sortit de la salle de bain présente le rapport au chômage avec une troublante sagacité placée sous l’angle fantasque du voyage intérieur.
Ce livre fort de son propos serait bien impossible à classer dans un genre, de même que son auteur, cette dernière soutenant d’ailleurs face aux journalistes de l’Express qu’« être réduite à un style [la] paralyse ». Ce pourquoi elle le réinvente sans cesse, oscillant entre la vulgarité inspirée par la libido exacerbée de ses rares personnages, les envolées lyriques de l’héroïne et les nombreux symboles (bruts ou calligrammes). Ce recueil des possibles prend le risque de perdre sa visée critique dans des élucubrations fantaisistes, parfois même vulgaires, mais n’en est pas moins rafraîchissant.
De par son régime digressif, le roman n’a de cesse de plonger son lecteur dans un profond malaise, lorsque des personnages extérieurs à l’action interviennent pour compléter les pensées de sa protagoniste et narratrice, une pigiste « dans la dèche » : Sophie. Un prénom familier, celui de l’écrivain s’adressant pourtant dans sa note d’intention à la responsable de la résidence De Pure Fiction. Est-ce alors une biographie, une autofiction ? Sophie Divry vit bien à Lyon, étant de surcroît journaliste, mais son double est sans cesse repris par des figures imaginaires, à commencer par Lorchus son diable intérieur qui, en effet, sortira de la salle de bain pour la tourmenter à coup de facéties grivoises. Hector, son meilleur ami au destin analogue est-il lui aussi issu de l’imaginaire débordant de l'autrice ? Comme il est parfois difficile de démêler le vrai du faux, ces questions demeurent sans réponses, et importent peu si tant est que l’œuvre plaît et fait réfléchir.
Le sujet premier est d’autant plus banal que le récit ne « prétend [pas] dresser un tableau objectif du chômage », mais simplement une urgence, un ressenti « du ressort de la nécessité économique ». D’après les mots de l’auteur quand elle s’adresse à son éditrice, il ne s’agit pas d’un « document de la misère », bien qu’il cherche à refléter ce quelque chose de notre époque qui échappe à l’entendement commun : une sorte de paralysie de l’être, piégé dans sa précarité. On retrouve cette idée quand Sophie se prend à faire un bilan du « bon contemplage de plafond » de son studio, décrivant l’opération insignifiante dans ses moindres détails et produisant comme à chaque interruption une impression de déséquilibre dans l’ordre mental, mais aussi celui du roman. D’aucuns questionneraient son originalité, notamment venant d’un roman dont le sous-titre le qualifie lui-même d' »improvisé, interruptif et pas sérieux », mais c’est bien là qu’elle se trouve. Il n’est pas question d’universaliser une condition déjà bien connue, encore moins de susciter la pitié. Figurée par une mise en abyme de cette pigiste en attente d’une facture d’EDF, toute la problématique repose sur la forme du récit et ses nombreuses variations. Les néologismes et illustrations omniprésents font un portrait plus pertinent encore de la psyché de cette figure de la société contemporaine qu’est le chômeur.
Aux dires de la protagoniste : « Pour cet enchaînement de calamités on devrait inventer des phrases plus lourdes et plus étouffantes ». Cette phrase illustre bien le récit en ce qu’il est un cycle des formulations tantôt drolatiques et plus fines encore que le compte bancaire de Sophie, tantôt abruptes, déconcertantes. Laissons au précédent roman de Sophie Divry, la Condition pavillonnaire, le loisir de livrer une description exhaustive d’une classe sociale, au profit d’une liberté dans l’expression et le style.