Ryûnosuke Akutagawa propose des récits courts mais qui permettront d'appréhender son style et de retrouver ce qui aura inspiré Kurosawa pour son film Rashōmon. La Porte de Rashô, dans la nouvelle du même nom, sera le seul élément que le cinéaste intégrera dans son film. Il choisira plutôt pour une adaptation libre, la nouvelle Dans le fourré optant d'ailleurs pour un bref humanisme final, absent de la version écrite.


Ryûnosuke Akutagawa lecteur lui-même de classiques Chinois et Japonais mais aussi de littérature occidentale est connu pour quelques 200 écrits, et s'inspire de contes du moyen-âge. Il publie sa première nouvelle en 1914, s'essaie au Haïku et à quelques romans. Pessimiste de la première heure il mettra fin à ses jours à trente cinq ans et laissera ce seul mot «vague inquiétude», titre d'un de ses recueils.


Certains textes joueront sur la déconstruction, d'une fluidité et subtilité parfaite entre fantasme et réalité subjective à l'exemple de Dans le fourré.
D'autres, sur une métaphore du Japon en devenir lié à l'inquiétude du romancier pour son pays qui s'ouvre à l'occidentalisation, remettant en question la culture et les valeurs traditionnelles. Rashōmon en est l'exemple par l'image d'un Japon dévasté où la pauvreté pousse aux derniers retranchements. La déchéance de l'homme est marquée par cette porte de Rashô, l'entrée de la ville, détruite et ouverte à tous les vents, remplie de rats et de cadavres où la seule survie est une question de point de vue.
L'ère Meiji est ici transposée pour évoquer la confrontation entre l'orient et l'occident, la fin de l'isolement volontaire du Japon et à ses conséquences sur l'humain. Le gouvernement féodal du Shōgun cédera devant les exigences américaines, d'où une période de troubles et de questionnements.


L'auteur mélange donc dans ses contes, le passé, les enjeux de son époque et ses propres préoccupations malgré son attirance pour la modernité. De ses histoires prenant pour environnement le Japon médiéval, il interpelle par un langage parlé (le narrateur va jusqu'à s'insinuer dans ses propres textes nous faisant part de ses impressions). Le cheminement de l'homme, les situations qui en découlent et l'environnement sont décrits avec un réel talent du détail. La nature humaine, l'homme et sa fatuité, la noirceur de l'âme, mais aussi l'ironie, n'en oubliant pas une pointe d'horrifique.


A le lire, un sentiment particulier à l'instar de ses nouvelles, nous plongent dans un univers indéterminé à la lisière du fantastique où le poétique et les envolées philosophiques, côtoient les perversions de ses personnages.
Chaque intrigue nous laisse souvent dans l'attente d'une catastrophe, sans grande tension, entrecoupée de transcriptions de paysages, fortes d'images, où le calme du moment vient se rompre par les comportements ou les paroles des personnages qui nous procurent pour la suite à venir, comme un sentiment de vague inquiétude si bien nommé. Une narration à la violence sourde et constante et les chutes elles-mêmes restent dans la droite ligne d'une atmosphère désespérée.


Considéré comme des contes macabres, peu de frayeur finalement dans ces courtes histoires, qui invitent plutôt à la réflexion.


Akutagawa du nom de l'auteur, est un prix littéraire japonais créé en 1935 par Kan Kikuchi en l'honneur de son ami.

limma
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 23 nov. 2018

Critique lue 623 fois

12 j'aime

3 commentaires

limma

Écrit par

Critique lue 623 fois

12
3

D'autres avis sur Rashōmon

Rashōmon
Plume231
8

L'angoisse vient en quelques lignes et avec trois fois rien !!!

A part son titre et peut-être un peu d'inspiration pour la situation introductive, Akira Kurosawa n'a pris aucun élément à cette nouvelle de Ryūnosuke Akutagawa pour son très célèbre film, utilisant...

le 26 août 2014

5 j'aime

5

Rashōmon
Von-Theobald
7

Fragments rouges et blancs

Des quatre nouvelles rassemblées, semble-t-il un peu aléatoirement, dans ce court recueil, la plus violente, la plus sombre et la plus belle est sans nul doute "Figures infernales", décrivant la...

le 21 déc. 2015

4 j'aime

Rashōmon
MarloneM
6

Critique de Rashōmon par MarloneM

Un des classiques fondateurs de la littérature japonaise contemporaine à ce qu'on m'a dit. J'attendais beaucoup de ce recueil de nouvelles, puisque les romans japonais que j'avais lus jusque là...

le 7 nov. 2012

4 j'aime

Du même critique

Apocalypto
limma
10

Critique de Apocalypto par limma

Un grand film d'aventure plutôt qu'une étude de la civilisation Maya, Apocalypto traite de l’apocalypse, la fin du monde, celui des Mayas, en l'occurrence. Mel Gibson maîtrise sa mise en scène, le...

le 14 nov. 2016

74 j'aime

21

Captain Fantastic
limma
8

Critique de Captain Fantastic par limma

On se questionne tous sur la meilleure façon de vivre en prenant conscience des travers de la société. et de ce qu'elle a de fallacieux par une normalisation des comportements. C'est sur ce thème que...

le 17 oct. 2016

60 j'aime

10

The Green Knight
limma
8

Critique de The Green Knight par limma

The Green Knight c'est déjà pour Dev Patel l'occasion de prouver son talent pour un rôle tout en nuance à nous faire ressentir ses états d'âmes et ses doutes quant à sa destinée, ne sachant pas très...

le 22 août 2021

59 j'aime

2