Ravage
7.2
Ravage

livre de René Barjavel (1943)

Je connaissais le principe du roman : plus d’électricité. Mais ce qui m’a surpris, c’est d’abord le cadre ; je ne pensais pas que l’auteur avait placé son récit dans une époque si lointaine ; la civilisation qu’il décrit, plus que jamais dépendante de la technique, et de l’énergie nécessaire à son fonctionnement, l’électricité, n’en tombera que de plus haut.


Autre source de surprise, le changement de genre. Une partie de l’ouvrage est consacrée à la description de ce fameux futur, avec une malice proche de la fable que j’avais déjà cru voir dans l’enchanteur, quelque chose de sérieux, mais gentillet ; on dirait, rétrospectivement, que l’auteur prend tant de tant pour faire l’inventaire de ces évolutions, c’est pour se réserver plus tard l’immense plaisir de tout détruire. Et quand toute cette technique devient inutilisable, on bascule dans le genre post-apocalyptique, avec des affrontements entre bandes urbaines, puis la traversée de la France, qui mêle le même genre à celui de la catastrophe, avant d’entrer dans la dernière phase, mythique, de reconstruction, le nouveau départ d’une humanité revigorée par l’épreuve et le retour à la nature, avec une morale de la simplicité, refus de l’intellectualisme, et du progrès technologique, qui constituera la morale de l’œuvre : l’homme s’est perdu en voulant s’épargner l’effort.


Et toute la partie post-apocalyptique est d’une violence assez inouïe, même aujourd’hui, au point de rendre enfantines les représentations plus contemporaines (séries bidons avec des zombies), dont l’intérêt, en partie, pour le lecteur, est de se demander s’il pourrait aller si loin dans de telles circonstances. C’est que les personnages principaux sont des messieurs tout le monde. Pas de bagarres acrobatiques : il s’agit de survivre, donc on n’hésite pas à se jeter à plusieurs sur des adversaires bien inférieurs en nombre. Cette catastrophe, en effet, en réduisant l’humanité à son instinct de survie, l’ampute en partie de son côté « animal social », du moins dans son interprétation post-moderne qui en fait un synonyme d’universalisme cosmopolite, alors qu’ici, l’homme reste social, mais un peu à la manière décrite par Maurras : l’homme sociabilisé avec les siens, contre ceux de l’extérieur. Les instincts primaires passent avant la civilisation, est ses normes inapplicables à la survie.
D’une certaine manière, ce sont ceux qui s’éloigneront le plus de ce modèle civilisationnel, pour retourner à une morale plus rustique, sans aller jusqu’à la barbarie, qui survivront. Il s’agissait de trouver un juste milieu entre la modernité et l’animalité : l’homme.


Et l’homme, c’est avant tout François, ce personnage principal, fort, rejetant les excès de cette civilisation futuriste, qui l’incarne. Comme dans l’Enchanteur, Barjavel, qui fait intervenir de nombreux personnages, parvient à les caractériser rapidement, dans des récits d’ailleurs brefs, condensés. Fort de son vécu, de sa puissance, de son intelligence, et de son sens de l’adaptation, il sera le prophète de ce monde nouveau. Et son sacrifice sera celui d’un homme se dressant (en vain?) contre le déterminisme du cycle, la tentation technologique toujours renaissante, et qu’il finit, avec son gendre, par contenir (provisoirement?), car le roman, qui semblait finir comme un début, laissant penser qu’indéfiniment, l’humanité se développerait dans la dépendance technique jusqu’au point de rupture qui le mènerait à sa chute, puis recommencerait indéfiniment ce cycle, s’achève sur un note positive, laissant penser que l’humanité peut, si elle le veut, rester libre.

Chatov
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 28 août 2020

Critique lue 254 fois

1 j'aime

Chatov

Écrit par

Critique lue 254 fois

1

D'autres avis sur Ravage

Ravage
nm-reader
8

Utopie ou Dystopie ?

Ce roman divise, ce n'est pas peu dire. Il suffit pour cela de lire les nombreuses critiques présentes ici pour s'en apercevoir ! J'ai l'impression que la question à se poser sur ce roman est :...

le 18 oct. 2013

57 j'aime

5

Ravage
Hard_Cover
1

Critique de Ravage par Hard_Cover

Ravage est un classique de la littérature de science-fiction française. Extrêmement célèbre, il n'en ait pas moins méprisés et critiqués. J'avais lu ou entendu certaines de ces critiques et j'entamai...

le 19 déc. 2010

44 j'aime

9

Ravage
Vincent-Ruozzi
7

Ravage, le pamphlet contre le progrès

La singularité de l’œuvre écrite par René Barjavel est qu'en 1942, date de publication de Ravage, la science-fiction est un genre encore inconnu en France. Aux États-Unis les grands noms tels...

le 2 nov. 2017

43 j'aime

6

Du même critique

Friends
Chatov
1

hahahahahaha

Les rires enregistrés (pas enregistrés) essaient de combler le vide d'un scénario qui n'a rien à raconter. Le spectateur tente de combler le vide de son existence en s'affaissant devant une série qui...

le 24 sept. 2019

13 j'aime

23

Les Deux Étendards
Chatov
9

Critique de Les Deux Étendards par Chatov

!!!!!!-L'intrigue est intégralement dévoilée ici-!!!!!! Voilà un sacré morceau de la littérature française, de plus de 1300 pages, pour certains un chef-d’œuvre. Soyez certain qu’on n’en entendra pas...

le 19 août 2020

7 j'aime

7