On acclame souvent Houellebecq pour son regard aiguisé sur notre monde, la clairvoyance de sa critique. Il me semble pourtant que non seulement Houellebecq n'est pas un anti-moderne, mais que c'est surtout par son sens de l'humour qu'il se distingue. Le texte initial, Rester vivant, n'est pas si drôle (les suivants le sont beaucoup plus). C'est justement le moins bon du recueil, car il manque du recul qui caractérise les autres textes.


Je m'explique : Houellebecq décrit les affres de la modernité avec un pessimisme et un désabusement absolus. Rien n'est à garder dans la vie moderne, tout est laid, artificiel, idiot. Ces remarques s'appliquent d'ailleurs de façon indifférenciée à la vie elle-même et à la modernité (phénomène tout à fait caractéristique de Houellebecq, je m'en explique plus bas).


Pourtant, on sent bien que la désillusion de l'auteur est plus grosse que lui. Sa critique est elle-même moderne, elle est elle-même artificielle, caricaturale, et il le sait (du moins on peut oser le croire). C'est ce qui rend Houellebecq si ambigu et sans doute si populaire : il critique la vie moderne non pas du point de vue d'un ancien, d'un historien, d'un conservateur, voire d'un mort, il la critique du point de vue d'un moderne. Ce qui affleure souvent à la surface de ses personnages : leur cynisme ne vient pas d'un rejet de la modernité mais au contraire de la frustration "de ne pas en être".


Un exemple : ses critiques sont majoritairement des critiques "de la fin". La séduction est désespérante car bien souvent elle n'offre pas l'objet convoité. La vie ne peut être que malheureuse car l'on vieillira seuls. La ville est laide, puisqu'on finira par la quitter. L'amour est inutile parce que périssable, etc. Ainsi le plaisir pervers de Houellebecq à décrire les fins, fins qui semblent toujours artificiellement tristes : retours à la maison, fins de vacances, fins de journée, fins de conversation, etc.


Inutile de dire que la limitation philosophique de cette approche est énorme, puisqu'elle ne consiste en gros qu'à dénoncer la mortalité de l'homme et la finitude de ses expériences (chose dont tout un chacun est a priori au courant) sans considération pour les processus et le vécu eux-mêmes, qui constituent pourtant la matière de notre vie.


Houellebecq est donc une sorte d'utilitariste absolu : ce n'est pas l'utilitarisme de la société moderne qu'il dénonce, mais bien le manque d'utilité de la vie en général, qui ne semble pas vouloir se conformer aux injonctions de la modernité. Et ses critiques ne sont pas tant politiques ou sociales que métaphysiques. A chacun d'en penser ce qu'il veut. Au moins, c'est drôle.

Orazy
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le 17 juin 2019

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