D'une part, il y a le fond. Cette immersion dans une famille à la française si typique, pleine de déjeuners dominicaux animés, de balades d'après les repas, de rentrées scolaires, de vacances au soleil, d'engueulades mémorables et j'en passe. De celles qui racontent notre pays et notre enfance d'un même souffle. C'est comme enfiler une paire de vieilles baskets qu'on a portées pendant des années avant de les délaisser pour un autre modèle plus à la mode et de les repasser juste pour une petite heure un jour de grand rangement de printemps, en retrouvant les sensations qu'on avait oubliées. Les mamies y sont fantasques, les papys un peu libidineux, les mères dépressives, tous un peu alcooliques ou grande gueule... ça forme un paysage familier, exploré jusqu'à la nausée par un certain cinéma français que je fuis comme la peste. A l'écrit, sous une plume relativement ferme, ça passe bien mieux. Ce sont toujours des histoires de famille pleines d'orage; il semblerait qu'aucune famille ne ressemble à celle des Ingalls ou du Cosby Show. Chez nous, on en bave des ronds de chapeau pour devenir adulte. Grandir, c'est fait de chausse-trappes et ça fait mal aux dents, mais c'est notre lot à tous, j'imagine. Ensuite, il y a la forme. Fini le confort du terrain balisé, pour le coup. Delphine de Vigan nous entraine sur les terres cabossées explorées avant elle par Emmanuel Carrère. Et là, ça, moi, j'aime pas du tout. Je regrette furieusement le bon vieux roman à la papa et je n'ai pas beaucoup d'appétence pour ces pages qui mélangent souvenirs et analyses à posteriori, comme un petit carnet d'écriture intime qui, selon moi, aurait vocation à rester discret. Pareil dans HHHH, ça m'avait déjà énervée. Et déçue. Le roman, à mon avis, apporte une hauteur de vue inégalable, et le fait de se heurter à chaque chapitre aux vicissitudes de l'écriture et de l'écrivain ne fait que troubler le paysage. Ça ne se discute pas, je n'aime pas ça. J'aime la grandeur du romancier omniscient, ce qu'on lui prête - certainement à tort - de noblesse et de discernement, et, du coup, je suis exaspérée par l'irruption dans le récit de gens ordinaires qui me donnent l'impression de raconter leur vie accoudés au zinc du bistrot du coin. J'ai envie de passer la séquence en accéléré pour retrouver la trame principale. Bref, du coup, je ne suis pas sûre de recommander ce livre au demeurant attachant par certains côtés. Faut supporter les bavardages et tergiversations d'une narratrice dont on pourrait croire qu'elle aime tellement écrire qu'elle le fait même en l'absence de sujet.