Sapiens
7.7
Sapiens

livre de Yuval Noah Harari (2011)

Si j'étais injuste et méchant, ce que je suis bien tenté d'être quand je lis dans le Point que Harari serait « le penseur le plus important du monde », ou sachant que son ouvrage est encensé par de dangereux personnages comme Bill Gates, Mark Zuckerberg, Barack Obama, Carlos Ghosn, je dirais bien qu'en fermant Sapiens et Homo Deus, que j'ai enchainés, je pense à ce que Shakespeare disait dans la fin de Macbeth, puisque ces deux romans sont censés nous enseigner ce qu'est notre vie : c'est « un récit conté par un idiot, plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ».
Mais soyons juste : Harari n'est pas du tout un idiot.
En revanche, ses deux ouvrages me font bien plus l'effet de propager des bruits, parfois fort discutables comme de nombreuses critiques ici même l'ont déjà souligné, qu'un véritable enseignement, une thèse. Et sans que l'on perçoive finalement clairement quel sens il donne à cette somme d'informations (Harari semblant prendre à son compte bien des théories voire des idéologies, notamment libérales, tout en soulignant parfois des critiques bien venues… bref, mangeant un peu à tous les râteliers).
Que signifie tout cela ? Bien difficile de le dire finalement : Homo Deus (qui est loin d'être uniquement orienté sur l'avenir et passe déjà les ¾ de l'ouvrage à redire ce qui a été dit dans Sapiens) par exemple, ne saurait être ni véritablement pris pour un avertissement (quoi qu'il en formule certains) ni pleinement pour un pamphlet pour le « business as usual » et une croyance aveugle dans le progrès (quoi qu'il semble louer certaines postures très « progressistes », étant à cet égard un bon sapiens – ce singe qui se raconte des histoires sur son importance).


Si je comprends aisément que l'on puisse être séduit par le style et la capacité à accrocher son lecteur (un vrai talent) et si j'admets sans problème qu'il y a bien des choses intéressantes (les chapitres qui concernent les données paléoanthropologiques surtout) je suis quand même très gêné par nombre de positions : aussi bien les âneries classiques sur le communisme (non pas que certains régimes soient inattaquables bien sûr, mais ils ne sont pas les caricatures indiscutables qu'il véhicule à gros traits, notamment sur l'écologie) que celles qui concernent les vertus du marché, de la science, du fameux « progrès » ; et encore par nombre d'affirmations très péremptoires et réductrices, qui se fondent sur les conclusions actuelles des « sciences de la vie » – biologiques surtout –, comme si ces sciences étaient l'alpha et l'omega de la compréhension de l'homme et de la vie, ainsi que des affirmations (dont certaines qui me semble radicalement – au sens propre – fausses ; par exemple sur le rôle des religions théistes – dans l'histoire et notamment celle de la violence humaine – ou, au contraire, la non prise en compte de leur rôle parfois – par exemple comme frein au développement d'une économie accumulative).


Bien dommage finalement que Harari ne prenne pas au sérieux certaines des leçons qu'il tire chez d'autres (qu'il ne cite pas le plus souvent). Parmi elles, je pense avant tout à ce que disait le sociologue (catégorie de scientifiques fort peu citée par Harari, quoi qu'il les pille souvent allègrement) Max Weber : « l'homme est un animal suspendu dans les toiles de significations qu'il a lui-même tissées ». Harari, me semble-t-il, aurait pu essayer davantage de se départir des discours dominants de notre époque (toiles significations dans lesquelles nous sommes actuellement suspendus), plutôt que de railler facilement celles du passé (même s'il prône, de manière étonnement décomplexée d'ailleurs, une lecture bouddhiste de la seule sagesse possible). Ce faisant – n'accordant finalement que peu de crédit aux phénomènes sociaux et politiques de domination et de violence symbolique, par exemple, qui sont pourtant très fortement renseignés (à cet égard, et dans un même registre, j'ai lu avec un bien plus grand profit – et je conseille donc : La fin de la Mégamachine de Fabian Scheidler) – Harari peut effectivement facilement passer pour un des porte-voix de la politique actuelle du « en même temps » : certes on peut formuler bien des critiques et des craintes quant à notre évolution (sociale, cela va sans dire) et à nos modes de vie, mais continuons de croire que ce qui nous a jusque-là fait gagner le toit du monde (dominer les autres animaux et les ressources de la planète, se gausser de l'idée d'une « loi » plus importante que celle que les hommes veulent bien se donner – et donc se croire libre de tout entreprendre – valoriser l'idée même de personne qui serait plus importante que le collectif-le commun, etc.).
Malheureusement les désastres écologiques, la croissance des inégalités, la crise du sens, que nombre d'entre nous constatons, que bien d'autres observent et renseignent, et avec quelle pertinence, me semblent montre que c'est tout l'inverse qu'il faut faire : ROMPRE radicalement avec ce modèle.

Julius-Grakus
5
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le 21 déc. 2021

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