Extraordinaire bouquin, à la noirceur abrasive, à l'écriture décapante et placé sous le signe de l'horreur la plus immonde, puisqu'il s'agit ici de scènes de la vie d'un petit fonctionnaire allemand sous le régime nazi.
Je ne sais quel vocabulaire employer pour décrire cet étonnant roman. Il faudrait ici inventer des termes nouveaux, qui fassent honneur à ce créateur de vocabulaire et d'images. En effet, Schmidt joue avec le langage comme un Joyce ou un Michaux, créant mots et significations, dans un jeu constant qui mélange étymologie et vaste culture littéraire (je connais très peu les auteurs cités et cachés dans son texte malheureusement...).


Il s'agit bien ici de "scènes", chaque paragraphe commençant par une image ou un mot en italique sur lesquels enchaîne une scénette ou un souvenir. Il n'y a d'ailleurs aucune difficulté à lire ce texte éclaté : la trame est chronologique, avec quelques flashbacks. Les paragraphes sont parfois étoffés, parfois de simples annotations. Ils sont bluffants d'invention, de poésie parfois et souvent d'humour. La Lune , déesse tutélaire, est présente dans presque tous...


Schmidt nous exprime de façon grinçante la vision du monde désabusée d'un fonctionnaire écœuré par la brutalité crasse du régime nazi et de ses sbires. Forcé de collaborer comme tout le monde, il n'en pense pas moins et insulte joyeusement ce Führer de m.... que s'est choisie l'Allemagne. Des passages croustillants le montrent aux prises avec ses mielleux supérieurs et ses collègues de bureau. Lui-même ancien de la guerre de 14, il se moque de ces jeunes qui se préparent à la prochaine, et pousse son aigreur jusqu'à totalement mépriser son fils, nazillon enthousiaste.


Ce héros ironique est humanisé hors de sa vie de bureau par sa vie familiale en loques, ses amours avec une jeune voisine et sa passion pour les vieux livres. D'un abord pas facile, Heinrich est finalement assez sympa au fond, et on ne peut que souffrir avec lui de l'énorme médiocrité qui a saisi un pays tout entier.
L'intrigue commence avant la guerre , avec toute l'angoisse que sa venue engendre pour qui sait lire les signes, et en quatre "actes" nous entrainent en 1944, sous une extraordinaire apocalypse qui clôt le livre magnifiquement. On en reste sérieusement bouche bée.


Bon, faux journal , vrai pamphlet politique, étonnant labourage de la langue, ce bouquin est génial, le pendant allemand, j'ai envie de dire, du Catch 22 ou de Abattoir 5.
A LIRE!

nostromo
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes étagères se remplissent , Ikea est content... et Mes lectures de 2015

Créée

le 25 nov. 2015

Critique lue 438 fois

5 j'aime

6 commentaires

nostromo

Écrit par

Critique lue 438 fois

5
6

D'autres avis sur Scènes de la vie d'un faune

Scènes de la vie d'un faune
nostromo
9

Apocalypse yesterday...

Extraordinaire bouquin, à la noirceur abrasive, à l'écriture décapante et placé sous le signe de l'horreur la plus immonde, puisqu'il s'agit ici de scènes de la vie d'un petit fonctionnaire allemand...

le 25 nov. 2015

5 j'aime

6

Scènes de la vie d'un faune
Nanash
9

Critique de Scènes de la vie d'un faune par Nanash

Comment parler de la culpabilité d'avoir été Allemand en 1939 ? Arno Schmidt propose une interprétation distante par sa forme originale mais très réelle par son propos. En deux époques 1939 et 1944...

le 22 mai 2014

2 j'aime

Scènes de la vie d'un faune
Rasp
9

Critique de Scènes de la vie d'un faune par Rasp

Le roman le plus connu d'Arno Schmidt sort en poche (chez Tristram), soixante ans après sa publication... Employé comme sous-fifre dans l'administration du Troisième Reich à la fin des années 1930,...

Par

le 17 janv. 2014

2 j'aime

4

Du même critique

The Leftovers
nostromo
4

La Nausée...

Saison 1 seulement ! (Et pour cause!) The Leftovers n'est pas vraiment une série sur la "rapture" chrétienne, ni sur les extra-terrestres ou tout autre concept fumeux... Il y est plutôt question de...

le 29 sept. 2014

36 j'aime

10

Le Tombeau des lucioles
nostromo
10

La guerre, oui, mais d'abord l'enfance...

Quand j'ai vu "Johnny got his gun", je savais très bien à quoi m'attendre. Et ça ne m'a guère aidé... Pour "Le Tombeau des lucioles", je n'avais aucune idée de ce que j'allais voir, et je vois bien...

le 17 avr. 2013

35 j'aime

4