Chacun trouve ce qu’il veut, dans un roman de Houellebecq. Les gens de gauche y voient une critique du capitalisme, les gens de droite une critique de la boboïsation du monde, les catholiques décrivent son sempiternel héros (oui, toujours le même) comme un homme qui aimerait croire en Dieu, les dépressifs ont l’impression de rencontrer l’un des leurs, les sentimentaux le rehaussent du qualificatif de « romantique déçu », les professeurs de littérature trouvent intéressante sa démarche « néoréaliste » tandis que les âmes sensibles s’outrent de tant de pornographie. Ce qui est certain, c’est que tout lecteur intelligent est capable de relever dans ses romans l’exposé de la trop grande part de bêtise que contient le monde dans lequel nous vivons, en la voyant portée dans chaque ouvrage à son paroxysme, hypertrophiée au point d’en devenir presque insoutenable (notamment sur le plan sexuel). Et ce lecteur se sent moins seul face au constat de cette triste réalité : la bêtise est partout.


Le nouveau roman de Houellebecq ressemble à tous les autres. Le narrateur quitte son emploi au ministère de l’Agriculture, son appartement et du même coup sa « compagne », n’a plus envie de rien, erre de lieu en lieu, de souvenir en souvenir, en ruminant ses échecs amoureux et en nous faisant partager ses remarques désabusées, cyniques et parfois très drôles. L’atmosphère est crépusculaire, la chair, très triste, et le bonheur semble inaccessible, ou passé. Le captorix et sa dose de sérotonine ne sont qu’une dérobade assumée car « il aide les hommes à vivre, ou du moins à ne pas mourir – durant un certain temps. »


Pourtant, une fois n’est pas coutume, un personnage est sublimé dans ce roman. Il s’agit d’Aymeric d’Harcourt, un aristocratique agriculteur, ami d’études du narrateur, qui se bat pour conserver ses terres. Ce combat se fait dans un souci de préservation patrimoniale, par tradition familiale, mais également, d’une façon plus large, pour lutter avec tous les autres agriculteurs de son coin de terre de Normandie contre une concurrence parfaitement déloyale venue de l’étranger. Et notre « héros », qui ne sait plus où aller, quoi faire, qui aimer, admire sans le lui dire cet homme pudique, triste, fatigué mais courageux, qui sait encore à quoi il tient, à quoi il faut tenir, dans un monde jugé dérisoire.


Triste, lucide et sincère, cette intelligente prose se moque des trop nombreux défauts de notre univers mais ne le condamne pas, comme le montrent les dernières lignes du roman, regrettant « l’endurcissement des cœurs » et nous donnant comme un shot d’espérance : « Dieu s’occupe de nous en réalité, il pense à nous à chaque instant, et il nous donne des directives parfois très précises. Ces élans d’amour qui affluent dans nos poitrines jusqu’à nous couper le souffle, ces illuminations, ces extases, inexplicables si l’on considère notre nature biologique, notre statut de simples primates, sont des signes extrêmement clairs. »


Houellebecq croit encore en l’amour et notre monde aussi, désespérément.

maelledlc
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le 16 janv. 2019

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